L'ATTAQUE DES LIEUX DU POUVOIR OU 

L'EMPRISE DU BOLSONARISME DANS 

LA SOCIETE BRESILIENNE

La démocratie a été attaquée dimanche 8 janvier 2023 au Brésil, mais le nouveau pouvoir de Lula a tenu. Des centaines de partisans de l’ancien président brésilien, Jair Bolsonaro, ont envahi le Congrès, le palais présidentiel et la Cour suprême à Brasilia.

Les faits

La zone près de la Place des trois pouvoirs, où se côtoient le Palais présidentiel de Planalto, la Cour suprême et le Congrès, avait été bouclée par les autorités, mais les bolsonaristes sont parvenus à rompre les cordons de sécurité. Les policiers, qui semblaient complètement débordés, ont tenté, en vain, de les repousser avec du gaz lacrymogène et des grenades assourdissantes.

Après plusieurs heures de chaos, les forces de l’ordre ont finalement repris le contrôle des bâtiments envahis et arrêté plus de 200 personnes, selon le ministre de la Justice et de la Sécurité Flavio Dino.

Le message des bolsonaristes semble limpide : ils ne comptent pas baisser les bras, malgré son investiture la semaine dernière.

Ces militants n’ont jamais reconnu la victoire - d’une courte tête - de Lula contre Jair Bolsonaro à la présidentielle d’octobre. Ce saccage intervient une semaine après l’investiture du nouveau président brésilien et ce, en l’absence de son prédécesseur : le leader d’extrême droite a quitté le Brésil en fin d’année pour rejoindre les Etats-Unis, fuyant ainsi des ennuis judiciaires.

Réaction du président Lula

Le président brésilien a très vite annoncé dimanche une « intervention fédérale » - soit la prise en main au niveau de l’Etat brésilien du commandement des forces de sécurité - pour reprendre en main la sécurité de la capitale.

Au lendemain de cette invasion « sans précédent dans l’histoire du Brésil », Lula s’est réuni avec les présidents du Sénat, de la Chambre des députés et de la Cour suprême au Palais présidentiel du Planalto. L’entrevue s’est conclue par un communiqué conjoint appelant à « la défense de la démocratie ». Condamnant une intervention menée par des « vandales fascistes », il a promis, au sujet des responsables, « de tous les retrouver », assurant qu’ils seraient « punis »

L’icône de la gauche brésilienne a estimé dimanche que son prédécesseur Jair Bolsonaro avait « encouragé » les « vandales fascistes » à mener cette action.

Jair Bolsonaro a réagi depuis la Floride

Depuis les Etats-Unis, Jair Bolsonaro a, dans une série de tweets, condamné « les déprédations et invasions de bâtiments publics ». Mais il a aussi « rejeté les accusations, sans preuve » de son successeur selon qui il aurait encouragé les violences.

Plusieurs de ses alliés se sont toutefois désolidarisés des violences, dont Valdemar Costa Neto, président du PL, le parti de Bolsonaro, qui a regretté « un jour triste pour la nation brésilienne ». Le gouverneur du district fédéral de Brasilia, Ibaneis Rocha, un autre allié de Jair Bolsonaro, a même présenté ses excuses au président Lula dans une vidéo. Il a qualifié les responsables des déprédations des bâtiments publics de « vrais vandales » et de « vrais terroristes ».

Condamnation unanime de la communauté internationale

Le président brésilien peut compter sur le soutien de la communauté internationale. La communauté internationale a massivement condamné l’attaque de ces symboles de la vie politique brésilienne. Les dirigeants américains, canadiens et mexicains ont condamné les attaques et assuré Lula de leur soutien, dans un communiqué commun lundi. Le pape argentin François a aussi dénoncé les violences. Joe Biden a jugé « scandaleuses » les violences des manifestants. « Utiliser la violence pour attaquer les institutions démocratiques est toujours inacceptable », a également tweeté son secrétaire d’Etat Antony Blinken. Le président mexicain Andrés Manuel Lopez Obrador a pour sa part dénoncé « la tentative de coup d’Etat des conservateurs au Brésil ».

Le président du Conseil européen Charles Michel a exprimé sur Twitter sa « condamnation absolue » de cet assaut et son « soutien total au président Lula da Silva, démocratiquement élu par des millions de Brésiliens à l’issue d’élections équitables et libres ».

L’emprise durable du bolsonarisme sur la société brésilienne

Mais il faut garder en mémoire que Lula n'a remporté le second tour de l’élection présidentielle au Brésil que d’une courte tête face au président sortant, Jair Bolsonaro, à l’issue d’une campagne émaillée de troubles jusqu’au dernier jour. Et cette campagne extrêmement tendue aura confirmé l’emprise durable du bolsonarisme sur la société brésilienne.

Le bolsonarisme n'est pas mort comme le montrent les chercheurs Bruno Ronchi (Université de Rennes) et Lucas Camargo Gomes(Université Federal du Paraná au Brésil) dans un article paru dans TheConversation « Quel avenir pour le bolsonarisme ? » dont voici les analyses.

En effet, malgré la résurgence de l’insécurité alimentaire, les presque 700 000 décès provoqués par la pandémie de Covid-19 et la hausse de la déforestation, Jair Bolsonaro et son gouvernement ont conservé tout au long de son mandat une forte popularité auprès d’une partie importante de la population. Le dernier sondage Datafolha organisé avant le scrutin indiquait que 38 % des Brésiliens considéraient le gouvernement « bon » ou « très bon », tandis que 22 % le jugeaient « moyen » et 39 % « mauvais » ou « très mauvais ».Dans un pays où 48 % des électeurs ont un revenu familial inférieur ou égal à deux smic, le soutien de l’électorat populaire reste fondamental pour le maintien du potentiel électoral de Bolsonaro.

De fait l'adhésion au discours au bolsonarisme reste encore répandu dans le pays qui conçoit le leader et ses partisans comme des soldats dans la lutte contre « le système ». Ce « système » comprend, entre autres, les établissements d’enseignement supérieur, les institutions judiciaires, les ONG nationales et internationales, et même les Nations unies.

En outre, le discours bolsonariste insiste sur la nécessité de moraliser la société brésilienne. Cette moralisation ravive la mémoire des scandales de corruption qui ont éclaté durant les gouvernements du Parti des Travailleurs et exalte les valeurs traditionnelles – comme en témoigne le slogan bolsonariste souvent répété, « Dieu, patrie et famille ».

Bolsonaro apparaît alors comme le seul à pouvoir lutter contre ces forces et à « guérir » le Brésil en le débarrassant d’un système profondément corrompu.

De surcroît, il est important de souligner le soutien économique et moral apporté à Bolsonaro par certains secteurs, comme une partie des Églises évangéliques (en particulier pentecôtistes), de l’agrobusiness, du monde de l’entreprise, de la police et de l’armée.

L’attitude de certains membres des forces de l’ordre lors de l'assaut a d'ailleurs interrogé des observateurs. Certains n'ont-il pas été complaisants envers les manifestants ? Les barrières métalliques protégeant les bâtiments modernistes aux larges baies vitrées ont été enfoncées facilement par les militants bolsonaristes qui n’ont pratiquement rencontré aucune résistance de la police. Des policiers ont même ouvert le chemin aux manifestants, qu’ils ont escortés jusqu’à la place des Trois-Pouvoirs. C'est que les forces armées au sens très large sont également divisées et sont dans un conflit de loyauté à l’égard de légitimation du pouvoir central.

"Bolsonorisation de l'appareil d'Etat" ?

Le corps de la police militaire est infiltré par les Bolsonaristes ou en tout cas très sensible aux thèses de l’extrême droite : selon une étude récente du Forum Brésilien de la Sécurité Publique, 27% des membres de ce corps interagissent sur les réseaux sociaux avec les militants les plus radicaux de Jair Bolsonaro. Ce corps, c’est la plus grande force de police dans le pays: 500 000 hommes environ avec une police militaire par État. En l’occurrence, lors de ces assauts contre les institutions, il s’agissait donc de la police militaire de l’État de Brasilia, la capitale, dont le gouverneur et le chef de la sécurité publique, soupçonnés de sympathie avec les insurgés, ont été démis de leurs fonctions la nuit dernière. Le nom « police militaire » est trompeur : il s’agit vraiment d’un corps de police, chargé du maintien de l’ordre. Ce n’est ni l’armée (même si c’est un corps de réserve de l’armée), ni la police civile, qui elle est exclusivement une police judiciaire chargée des enquêtes au Brésil.

L'armée, à l'inverse, est un corps fédéral et jusqu’à présent en tout cas, elle présente un visage légaliste et respectueux des institutions démocratiques ; les casernes sont restées calmes, malgré les appels du pied des militants bolsonaristes qui réclament une « intervention militaire ». En décidant d'ailleurs de placer Brasilia sous contrôle fédéral, le président Lula a de facto décidé de faire confiance à l’armée, plutôt qu’aux polices militaires.

Comment Lula peut-il gouverner ?

Certes Lula a déjà commencé le coup de balai. Le chef de la police de Brasilia, Anderson Torres, un bolsonariste ancien ministre de la Justice, a été démis de ses fonctions. Dès dimanche soir, le juge de la Cour suprême Alexandre de Moraes a suspendu pour 90 jours de ses fonctions le gouverneur du district de Brasilia, Ibaneis Rocha, qui avait nommé Torres. Mais si Lula a gagné l’élection présidentielle, il doit composer avec un Congrès où les soutiens de l’ex-président sont nombreux et les Etats fédérés majoritairement acquis à Bolsonaro.

Lula va donc devoir s’employer pour reprendre le contrôle de « l’appareil d’Etat » (police, armées), infusé par les idées bolsonaristes, énonce Maud Chirio, maîtresse de conférences, spécialiste de l’histoire de la dictature militaire brésilienne. « Lula est confronté à une bolsonarisation de l’appareil d’Etat qui peut l’empêcher de gouverner », analyse la chercheuse.

Les effets à long terme

Mais au vu de l’enracinement bolsonariste dans la société brésilienne, il est important d’envisager les effets à court et à long terme qu’il produit sur cette jeune démocratie, selon les deux chercheurs Bruno Ronchi et Lucas Camargo Gomes. Les attaques incessantes dirigées vers les autres pouvoirs, en particulier la Cour suprême, accentuent la méfiance à l’égard des institutions dont la mission est de sauvegarder l’État de droit. Ancré dans la Constitution de 1988, dont la promulgation scelle la fin de la dictature militaire, ce cadre institutionnel affichait des signes de corrosion bien avant l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.

Face à la succession de crises et de reconfigurations survenues depuis la dernière décennie, marquée par la destitution de Dilma Rousseff en 2016, ainsi que par de nombreux scandales de corruption, le mécontentement généralisé devient de plus en plus palpable. Le bolsonarisme apparaît alors comme l’expression de l’antipolitique, partant de l’idée que tous ceux qui se soumettent au système sont corrompus...

« Les scénarios qui se dessinent pour l’avenir de la démocratie brésilienne ne laissent pas entrevoir un « retour à la normalité démocratique » facile à opérer. Le phénomène observé actuellement se caractérise bien davantage par la déstructuration d’un cadre institutionnel historiquement situé qui montrait déjà ses limites. », concluent les chercheurs.

« Même si la victoire de Lula était acceptée par Bolsonaro et ses partisans, il faudrait un travail de fond du nouveau gouvernement pour se réadapter aux nouvelles méthodes d’action politique, face à une opposition bolsonariste qui sera sans doute féroce et déterminée à revenir au pouvoir au plus vite. »




Garett Skyport pour DayNewsWorld