LE COME-BACK DE LULA A LA TETE DU BRESIL

Acclamé par une impressionnante marée rouge de centaines de milliers de partisans massés sur l'Avenida Paulista de Sao Paulo, Lula a prôné la « paix et l'unité" »après son élection d'une courte tête à la présidence du Brésil. L’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva a été élu, dimanche 30 octobre, à la tête du Brésil avec 50,90% des voix, selon les résultats définitifs, contre 49,10% pour le chef d'État sortant d'extrême droite, Jair Bolsonaro. Le Tribunal supérieur électoral (TSE) a déclaré, dimanche soir, le candidat de gauche Luiz Inacio Lula da Silva élu président de la République, jugeant l'écart impossible à rattraper après le dépouillement de 98,95% des voix. Avec environ 49,10% des suffrages, le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro devient le premier président sortant du pays à échouer à se faire réélire.

L'écart entre les deux opposants est très court, dans un pays de 215 millions d'habitants dont près de 156 millions d'électeurs obligés de s'exprimer, le vote étant obligatoire. La marge est bien plus étroite que ce que prédisaient les sondages, qui avaient déjà sous-estimé le score de Jair Bolsonaro avant le premier tour. L'écart, de moins de deux points de pourcentage, est le plus serré entre deux finalistes de la présidentielle depuis le retour à la démocratie après la dictature militaire (1964-1985)

La victoire de Lula a été saluée par toutes les dirigeants du monde entier, soulagés et quelque peu étonnés sans doute comme la presse internationale « de cet incroyable retour en force de Lula », titre le Guardian, « un retour extraordinaire pour un homme qui était en prison pour corruption il y a encore 3 ans », souligne de son côté le Wall Street Journal.

C'est donc un come-back historique pour cet ancien métallo de 77 ans, qui débutera le 1er janvier son troisième mandat, 12 ans après avoir quitté le pouvoir sur une popularité record (87%). Mais aussi après être passé 580 jours par la case prison, après des condamnations pour corruption finalement annulées pour vice de forme. « On m'avait enterré vivant! », a lancé l'icône inoxydable de la gauche, qui a comparé sa victoire à une « résurrection ».

Immédiatement après l'annonce officielle des résultats, Lula a réagi dans un tweet : « Démocratie », avec une photo de sa main gauche – dont il a perdu un doigt lors d'un accident de travail – sur un drapeau brésilien.

L’artère principale de la ville, l’avenue Paulista, était noire de monde dans une explosion de joie, en attendant l’arrivée de Lula. Quand il a pris la parole, le désormais président élu a promis à ses sympathisants que « la roue de l'économie recommencera à tourner ».

« Le Brésil a besoin de paix et d'unité », a déclaré Lula, ajoutant que son pays était « de retour » sur la scène internationale et ne voulait plus être un « paria ». « Le Brésil et la planète ont besoin d'une Amazonie en vie », a ajouté l'icône de la gauche dans son discours de victoire, alors que Jair Bolsonaro s'est attiré les critiques de la communauté internationale pour la déforestation record de la plus grande forêt tropicale du monde sous son mandat.

La « re-démocratisation du Brésil est en marche » estime encore le quotidien brésilien qui mesure néanmoins les « énormes défis » qui attendent Lula pour son 3ème mandat « alors que le pays qu'il va diriger dans 2 mois est au bord de la récession, avec une inflation galopante, une croissance faible , un pays au bord de la faim et de la misère », détaille O'Globo à l'instar de la Folha de Sao Paulo qui ajoute à ces difficultés économiques « un congrès au main des bolsonaristes » dans un pays fracturé.

« Il ne s'agit pas seulement de sauver la forêt amazonienne, et de sortir 33 millions de brésiliens de la pauvreté » insiste également le correspondant d'El Pais, « la tâche est encore plus difficile, Lula va devoir convaincre les brésiliens de nécessité d'unir leurs forces et d'entamer une reconstruction nationale ».

« Un défi titanesque », estime le quotidien espagnol.

Le futur président va affronter de difficiles choix économiques et sociaux, dans un pays qui a négligé son industrie au profit de ses matières premières.

De fait, Lula devra faire preuve de tous ses talents de négociateur d’ancien syndicaliste métallo pour tenter de gouverner face à un Congrès plutôt acquis à son opposant, ex-militaire plus porté à l’outrance qu’au compromis. Car en même temps que la présidentielle, les Brésiliens ont voté pour le renouvellement des députés, sénateurs et gouverneurs des Etats de la fédération, et les ultraconservateurs ont partout percé.

Redresser l'économie, le plus grand défi de Lula

Avec si peu de marge de manœuvre, par facile pour Lula de s’attaquer à son plus grand défi : redresser l’économie, structurellement affaiblie. Dès les dernières années de Lula selon certains, sous l’égide de sa successeure Dilma Rousseff selon d’autres , renonçant à continuer de réformer, les dirigeants ont préféré faire grossir l’Etat et surfer sur un boom des matières premières porté par la découverte de gisements de pétrole offshore. Du coup, l’économie plongea dans la récession en 2015 et 2016 avec la baisse brutale des cours mondiaux du soja, du sucre et du fer, révélant les faiblesses du modèle brésilien. Depuis, la croissance du pays a été en moyenne de 0,3% par an, moins de la moitié de sa croissance démographique.

Comment financer les promesses de campagne?

L’industrie manufacturière ne représente plus que 10% du PIB brésilien, contre 15% en 2004. « Sa seule politique économique a été d’abattre des arbres et de planter du soja », déplore Moisés Selerges, le président du syndicat des métallurgistes. De fait, les revenus du secteur agroalimentaire ont explosé sous son mandat. Ils pèsent 28% de l’économie et le Brésil est devenu le troisième exportateur mondial agricole, derrière les Etats-Unis et l’Union européenne…

Aujourd’hui, la pauvreté progresse, le chômage atteint près de 15% et la répartition des richesses est plus inégale que jamais, dans une économie retombée à la douzième place mondiale. De l’avis d’Arminio Fraga, qui dirigeait la banque centrale sous la présidence de Cardoso, retrouver une croissance saine nécessite trois grandes réformes, de l’éducation et de la formation, de l’Etat et du budget, et une meilleure politique environnementale. Aujourd’hui, la dépense publique avoisine les 40% du PIB, un taux similaire à de nombreux pays riches, mais les services publics sont bien plus médiocres. Près de 80% des dépenses sont absorbées par les salaires et les pensions, contre moins de 60% dans la plupart des pays. Et l’investissement public ne représente que 2% du PIB.

Le Brésil dispose malgré tout de solides atouts. Le monde a besoin de son abondante production alimentaire et énergétique. Son gouvernement emprunte à des investisseurs locaux, et pas en devises étrangères. Sa situation budgétaire est donc moins fragile que celle de l’Argentine. Mais pas de quoi financer toutes les promesses de campagne de Lula, l’augmentation du salaire minimum, la suppression de l’impôt sur le revenu pour les foyers modestes, une hausse des aides sociales et une reprise des investissements publics.

Jair Bolsonaro toujours muré dans le silence

Le silence du chef de l'Etat sortant était troublant, y compris sur les réseaux sociaux, ou il est d'habitude très actif. C'est la première fois qu'un président brésilien échoue dans sa tentative de réélection. « À partir du 1er janvier, je vais gouverner pour les 215 millions de Brésiliens et Brésiliennes, pas seulement ceux qui ont voté pour moi », a dit Lula.

« Personne ne veut vivre dans un pays divisé, en état de guerre perpétuelle. Ce pays a besoin de paix et d'unité. (...) Il n'y a pas deux Brésil, nous sommes un seul peuple, une seule nation », a insisté l'icône de la gauche.

Un étrange silence selon O'Globo qui note « que c'est la 1ère fois qu'un candidat à la présidence ne reconnaît pas sa défaite le jour même ». Après l'annonce de la victoire de Lula hier soir « Jair Bolsonaro aurait été directement se coucher » dit encore le quotidien brésilien qui estime « qu'il y a une inquiétude raisonnable quant à la réaction à venir du vaincu », Bolsonaro ayant préparé le terrain « pour contester une défaite avec depuis des mois des allégations de fraude », souligne également le Washington Post. Le président sortant n'a en effet pas encore réagi aux résultats. Selon le quotidien Folha de São Paulo, depuis sa défaite, Jair Bolsonaro s'est enfermé seul avec son fils dans le palais présidentiel, refusant de parler à ses ministres par téléphone et de les recevoir.

Au début de la campagne, il avait menacé de ne pas reconnaître les résultats, mettant notamment en cause le système de vote électronique. Il a ensuite modéré son propos au fur et à mesure, affirmant finalement que « celui qui a le plus de voix gagne, c'est la démocratie ».

« Acceptera-t ‘il la défaite ? » s’interroge ainsi également le New York Times. « Les deux mois et demi qui restent avant l'investiture de Lula en janvier prochain s'annoncent en tous cas tumultueux », estime de son côté le correspondant d'El Pais, qui ne croit pas à une transition en douceur alors que d'ici à janvier « Bolsonaro conserve tous ses pouvoirs présidentiels »

La corruption systémique

En revanche, certains de ses proches comme Arthur Lira, président de la Chambre des députés, ont reconnu rapidement la défaite de leur candidat. Il faut « tendre la main à nos adversaires, débattre, construire des ponts », a déclaré Arthur Lira.

« Il y a une force d’inertie dans le système politique brésilien qui a un côté redoutable, c’est la corruption systémique. Mais l’avantage, c’est que ça garantit une certaine stabilité », expliquait ce lundi matin Armelle Enders, professeure d'histoire contemporaine à l'université Paris VIII. Il est « déterminant qu'Arthur Lira ait immédiatement reconnu la victoire de Lula et proposé de travailler avec lui. Il avait déjà travaillé avec lui, tous ces gens qui se sont ralliés à Bolsonaro ont travaillé y compris avec Dilma Roussef.

Donc, ils sont aimantés par le pouvoir fédéral et l’accès au coffre public. Ce n’est peut-être pas une bonne motivation, mais ça garantira la stabilité. »




Alyson Braxton pour DayNewsWorld