CUBA MANIFESTATIONS INEDITES

CONTRE LE GOUVERNEMENT

Des dizaines de manifestations antigouvernementales ont émaillé le pays dimanche. Le président Miguel Diaz-Canel a appelé ses partisans à répliquer dans la rue.

« A bas la dictature. »

Dimanche 11 juillet 2021, des milliers de manifestants sont descendus dans les rues de La Havane et des villes de Cuba pour crier leur colère contre la misère et les pénuries. En toile de fond, l’héritage de la révolution de 1959 s’étiole. Des voitures renversées, tout un symbole au paradis des belles américaines des années 1950. Des milliers « de a pie » (ceux qui marchent à pied, en espagnol), des Cubains ordinaires, ont entonné dans les rues des slogans anti-régime avec une rare vigueur.

Largement diffusés sur les réseaux sociaux, les défilés ont commencé de façon spontanée dans la matinée, un événement rarissime dans ce pays gouverné par le Parti communiste, où les seuls rassemblements autorisés sont généralement ceux du parti. Une quarantaine de manifestations antigouvernementales ont eu lieu à travers l’île,qui restait coupé lundi matin. Les rues de La Havane étaient toujours sillonnées par la police et l’armée, ont constaté des journalistes, mais le calme est revenu après les échauffourées de la veille qui ont conduit à plusieurs dizaines d’arrestations.

A La Havane, des échauffourées ont éclaté entre des manifestants et les forces de l'ordre qui ont utilisé des gaz lacrymogènes. Au moins dix personnes ont été arrêtées et plusieurs policiers ont utilisé des tuyaux en plastique pour frapper des manifestants. S’il a reconnu « l’insatisfaction » que peuvent ressentir certains Cubains, Miguel Diaz-Canel a aussi donné aux révolutionnaires « l’ordre de combattre » ces rassemblements dans la rue.

Cuba traverse une grave crise sanitaire et économique

C'est excédés par la crise économique que ces milliers de Cubains sont sortis aux cris de « Nous avons faim », « Liberté » et « A bas la dictature ». « Cuba n’est pas à vous ! », criait notamment une foule rassemblée face à des bureaux du Parti communiste (PCC), seule formation politique autorisée à Cuba.

La pandémie de Covid-19 a en effet plongé Cuba dans une grave crise économique. Chaque jour, les Cubains doivent patienter de longues heures pour s'approvisionner en nourriture et sont aussi confrontés à une pénurie de médicaments. Le recul du tourisme, à l'arrêt à cause de la pandémie, a privé le pays d'une part importante de ses ressources. L'économie cubaine a chuté de 11% en 2020, un plus bas en presque 30 ans.Ces difficultés économiques ont poussé les autorités à couper l'électricité plusieurs heures par jour dans une grande partie du territoire. L'internet mobile, arrivé fin 2018 à Cuba, restait d'ailleurs coupé lundi matin.

Cette crise n'est pas liée qu'à la pandémie de Covid-19. Selon Janette Habel, « le premier problème ce sont les sanctions » imposées à Cuba. « Avant tout autre chose, ce pays est victime depuis 62 ans de sanctions économiques absolument effarantes », observe la maître de conférences à l'Institut des hautes études d'Amérique latine (IHEAL).

Les manifestations sont par ailleurs survenues le jour où Cuba a enregistré un nouveau record quotidien de contaminations et de morts dues au coronavirus, avec 6 923 cas recensés (pour 238 491 cas au total) et 47 morts en 24 heures (pour 1 537 morts au total). Face à cette situation, les appels au secours se sont multipliés sur les réseaux sociaux sous les mots-clés #SOSCuba ou #SOSMatanzas (du nom de la province la plus touchée) et un groupe d'opposants a demandé l'instauration d'un « couloir humanitaire ». L'initiative a été écartée par le gouvernement.

Cuba accuse les Etats-Unis de complicité

Au lendemain de ces manifestations, le président cubain, Miguel Diaz-Canel, a accusé le gouvernement américain de mener « une politique d’asphyxie économique pour provoquer des troubles sociaux » dans l’île. Après une brève réconciliation entre 2014 et 2016, les relations diplomatiques entre Cuba et les Etats-Unis sont au plus bas depuis le mandat de Donald Trump. L'ancien président républicain a renforcé l'embargo en vigueur depuis 1962, dénonçant des violations des droits de l'homme et le soutien de La Havane au gouvernement de Nicolas Maduro au Venezuela.

Miguel Diaz-Canel a accusé le gouvernement américain d'être à l'origine de ces manifestations. « Il y a un groupe de personnes, contre-révolutionnaires, mercenaires, payées par le gouvernement américain, de façon indirecte à travers des agences du gouvernement américain, pour organiser ce genre de manifestations », a-t-il affirmé.

Dans une allocution retransmise à la télévision et à la radio, le dirigeant communiste, entouré de plusieurs de ses ministres, a assuré que son gouvernement essaie d’« affronter et de vaincre » les difficultés face aux sanctions américaines, renforcées depuis le mandat du président américain Donald Trump (2017-20« Que cherchent-ils ? Provoquer des troubles sociaux, provoquer des incompréhensions » chez les Cubains, mais aussi « le fameux changement de régime », a dénoncé le président cubain. . « Si vous voulez que le peuple aille mieux, levez d'abord l'embargo », a-t-il ajouté. Ceux derrière ces manifestations « ont obtenu la réponse qu’ils méritaient et ils vont continuer à l’avoir, comme au Venezuela », grand allié de Cuba, a-t-il ajouté.

Washington et Bruxelles soutiennent les manifestants

Dès dimanche, le gouvernement américain a réagi en mettant en garde les autorités cubaines contre tout usage de la violence à l'encontre de « manifestants pacifiques ». « Les Etats-Unis soutiennent la liberté d'expression et d'assemblée à Cuba », a tweeté le conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan.

Dans un communiqué diffusé lundi, le président américain Joe Biden a appelé « le régime cubain à entendre son peuple et à répondre à ses besoins ». « Nous nous tenons aux côtés du peuple cubain et de son appel vibrant à la liberté. »

De son côté, l'Union européenne a annoncé soutenir le « droit des peuples à s'exprimer ». « Nous demandons aux autorités d'autoriser ces manifestations et d'écouter le mécontentement des manifestants », a déclaré le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell, à l'issue d'une réunion des ministres des Affaires étrangères européens à Bruxelles.

La Russie met en garde contre toute « ingérence étrangère »

Grand soutien des autorités cubaines depuis l'époque soviétique, la Russie a mis en garde contre toute « ingérence étrangère » dans cette crise. « Nous sommes convaincus que les autorités cubaines prennent toutes les mesures nécessaires pour rétablir l'ordre public dans l'intérêt des citoyens du pays », a assuré le ministère des Affaires étrangères russe dans un communiqué.

Mexico offre son aide

Le président mexicain, Andres Manuel Lopez Obrador, a lui rejeté toute approche « interventionniste » pour la situation à Cuba et offert d’envoyer de l’aide humanitaire.

Le Mexique peut « aider en fournissant des médicaments, des vaccins, tout ce qui est nécessaire, ainsi que de la nourriture, car la santé et la nourriture sont des droits humains fondamentaux » qui ne nécessitent pas « une gestion politique interventionniste », a déclaré le dirigeant de gauche




Alyson Braxton pour DayNewsWorld