LA TRAGEDIE ARMENNIENE DANS 

LE HAUT- KARABAGH OU LE NETTOYAGE ETHNIQUE ?

Le Haut-Karabagh s’est encore embrasé, dans une offensive qui a donné la haute main à l’Azerbaïdjan et laisse planer des incertitudes inquiétantes sur le sort des Arméniens dans cette zone.

La dissolution "de toutes les institutions gouvernementales et organisations"

La république séparatiste autoproclamée du Haut-Karabakh a annoncé, jeudi 28 septembre, la dissolution "de toutes les institutions gouvernementales et organisations (...) au 1er janvier 2024", une semaine après une offensive éclair de l'Azerbaïdjan au bout de 30 ans de conflit. Le décret du dirigeant de cette enclave, Samvel Chakhramanian, établit qu'en conséquence, "la République du Haut-Karabakh (Artsakh) cesse son existence".

Les séparatistes arméniens du Haut-Karabakh (Artsakh en arménien) ont subi en vingt-quatre heures la semaine dernière une défaite militaire qui les a forcés à capituler face à l'Azerbaïdjan, pays dont ils avaient fait sécession à la chute de l'URSS, en 1991. Cette offensive a déjà poussé 65 000 réfugiés à l'exode vers l'Arménie, soit plus de la moitié des habitants de cette région séparatiste, selon Erevan. Les Arméniens n’ont pas oublié le massacre de Soumgaït commis par les Azerbaïdjanais en 1988.

Le Premier ministre arménien a de son côté accusé jeudi l'Azerbaïdjan de "nettoyage ethnique" au Haut-Karabakh, estimant que tous les Arméniens de cette région sécessionniste l'auront quittée dans "les prochains jours".

L'Arménie a par ailleurs appelé la communauté internationale à "agir".

L'Arménie dit avoir recensé plus de 65 000 réfugiés sur son sol

Près de la moitié des habitants de la région ont fui depuis que l'enclave est passée sous contrôle de l'Azerbaïjan. Les autorités arméniennes font état, mercredi 27 septembre, de l'arrivée de 50 243 réfugiés en provenance de l'enclave du Haut-Karabakh. Près de la moitié de la population qui a ainsi déjà fui la région, quatre jours après l'accord de cessez-le-feu qui place la région sous contrôle azerbaïdjanais. La semaine dernière, l'offensive éclair de l'Azerbaïdjan a en effet brutalement mis fin aux rêves d'indépendance des séparatistes arméniens. L'Azerbaïdjan a ouvert dimanche la seule route reliant l'enclave à l'Arménie.

Sur cette route, un convoi de voiture incessant amène toujours plus de réfugiés de l'autre côté de la frontière. Première étape pour la plupart, la ville de Goris. Nombre de réfugiés, affamés, ont passé la nuit dans leurs véhicules dont ils émergent les yeux rougis de fatigue, beaucoup disant n'avoir aucun endroit où dormir ni lieu où aller en Arménie.

Pour ajouter aux tourments de l'enclave, plus de 100 personnes sont toujours portées disparues après l'explosion d'un dépôt de carburant pris d'assaut par les habitants en plein exode. Le drame a fait 68 morts et 290 blessés. De plus, l'ancien dirigeant du gouvernement séparatiste du Haut-Karabakh de novembre 2022 à février 2023, Ruben Vardanyan, a été arrêté mercredi par les autorités azerbaïdjanaises, alors qu'il tentait de rejoindre l'Arménie.

Rappel des faits depuis trois décennies

19 septembre 2023. Les Arméniens du Haut-Karabagh (aussi appelé Nagorny Karabakh) ont déposé les armes le 20 septembre 2023 devant l’avancée des troupes azéries.

L’offensive de l’Azerbaïdjan, il y a une semaine, est un nouvel épisode d’un conflit qui dure depuis trois décennies.

La guerre de 2020 au Haut-Karabagh est une guerre opposant la République du Haut-Karabagh , soutenue par l'Arménie, et l'Azerbaïdjan, soutenu par la Turquie, pour le contrôle du Haut-Karabagh.

L’Azerbaïdjan, pays turcophone à majorité chiite, réclame le retour sous son contrôle du Haut-Karabakh, province montagneuse peuplée majoritairement d’Arméniens, chrétiens, dont la sécession, en 1991, n’a pas été reconnue par la communauté internationale.

Cette province arménienne rattachée à l’Azerbaïdjan a proclamé son indépendance à la chute de l’URSS, en 1991 .Elle est désormais au centre d’un conflit régional.

Des combats meurtriers ont eu lieu entre les forces du Haut-Karabakh, soutenues par l’Arménie, et les troupes d’Azerbaïdjan, dans la région séparatiste du Haut-Karabakh, peuplée de 150 000 habitants, majoritairement arméniens.

Sachant que les musulmans d’Azerbaïdjan et les chrétiens d’Arménie ne s 'entendent pas, Staline, le dirigeant de l’URSS jusqu’en 1953, lui-même caucasien, avait créé une enclave azérie en Arménie. Et une enclave arménienne en Azerbaïdjan.C’est cette enclave, le Nagorny Karabakh, une zone de 4 400 kilomètres carrés, que les deux pays se disputent depuis 30 ans.

Montée des tensions et combats meurtriers en 2020

Après plusieurs mois de montée des tensions ponctuées d'escarmouches le long de la frontière, des combats éclatent le 27 septembre 2020, provoquant la mobilisation générale et l'instauration de la loi martiale dans ces pays.

Depuis plus de 30 jours, les forces de l’enclave séparatiste du Haut-Karabakh, soutenue politiquement, militairement et économiquement par l’Arménie, et celles de l’Azerbaïdjan s’affrontent dans les combats les plus meurtriers depuis 2016. Le bilan officiel s’établit à plus de 100 morts. Mais les deux camps affirment chacun avoir tué des centaines de militaires ennemis

Des cessez-le-feu non respectés

Le 10 octobre 2020, une médiation russe permet aux deux parties de s'entendre sur un cessez-le-feu et une reprise des négociations. Les hostilités reprennent cependant peu après. Le 18 octobre 2020, grâce à une médiation du groupe de Minsk, un second essai pour une mise en place du cessez-le-feu est lancé, sans succès. Un troisième cessez-le-feu humanitaire, négocié par les États-Unis, débutant le 26 octobre 2020, et également sans succès.

Le 9 novembre, le premier ministre arménien Nikol Pachinian signe un accord de fin des hostilités qui entre le 10 novembre en vigueur qualifié de « capitulation » par le président azéri Ilham Aliev .

Un accord signé le 9 novembre 2020

Selon l'accord, l'Azerbaïdjan garde les territoires reconquis incluant Choucha et sept districts. Les Arméniens conservent le corridor de Latchin et doivent mettre en place un corridor en Arménie entre l'Azerbaïdjan et le Nakhitchevan. L'accord prévoit également le déploiement de forces de paix russes dans la région et la création d'un centre d'observation russo-turc dans la région.

Le 10 novembre 2020, un cessez-le-feu signé sous les auspices de Vladimir Poutine avait mis un terme à ce qu’on a appelé la « guerre de 44 jours », qui était en réalité la seconde guerre du Karabakh. La première ayant été gagnée par le camp arménien au début des années 1990. La seconde, à l’automne 2020 donc, a été remportée de façon incontestable par l’Azerbaïdjan, qui a alors repris le périmètre autour de l’enclave, jusqu’alors contrôlé par les Arméniens, ainsi qu’environ les deux tiers de l’enclave elle-même.

Le cessez-le-feu prévoyait que des communications devaient être assurées entre, d’une part, l’Arménie et le Karabakh, via la route du corridor de Latchine, et d’autre part entre l’Azerbaïdjan et le Nakhitchevan, qui est une exclave de l’Azerbaïdjan située à l’ouest du territoire arménien et frontalière de la Turquie – c’est-à-dire que l’Azerbaïdjan et la Turquie bénéficieraient dans cette hypothèse, dès lors, d’une sorte de raccordement terrestre direct.

Après la chute de l'Urss en 1989-1991

Mais comment les politiques et réformes soviétiques, particulièrement celles initiées par Gorbatchev, ont influencé et ravivé les revendications territoriales historiques entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et quelles répercussions ont-elles eues à long terme ?

À l'époque de l'Union soviétique, les questions nationales demeuraient un sujet tabou. Le régime socialiste soviétique promouvait l'unité entre les peuples et visait à une fusion des différentes nationalités. Tout était orchestré sous la direction du Parti communiste de l'Union soviétique. Les mouvements nationalistes n'étaient pas tolérés, bien qu'ils existaient en secret, car leur expression publique était sévèrement réprimée, leurs leaders risquant l'emprisonnement, voire l'exécution.

Lorsque le pouvoir central a commencé à s'affaiblir, ces mouvements nationalistes ont pris de l'ampleur, notamment à la suite des réformes de Gorbatchev. À partir de 1988, on a observé une montée significative des mouvements nationalistes dans chaque république soviétique. C'est également à cette époque que les questions des minorités ethniques ont commencé à se poser, particulièrement dans la région du Caucase. En Géorgie, les Abkhazes et les Ossètes étaient concernés, tandis qu'en Azerbaïdjan, les tensions étaient principalement entre les Arméniens et les autres minorités, surtout dans le Nord et le Sud du pays. Bien que l'Arménie fût relativement homogène à cette période, elle comptait néanmoins une minorité azerbaïdjanaise et des Kurdes.

C'est alors que d'anciennes revendications territoriales ont refait surface. Les Arméniens, en particulier, contestaient les décisions prises en 1920 par Staline, notamment l'attribution du Nakhitchevan et du Karabagh à l'Azerbaïdjan, malgré une forte majorité arménienne dans cette seconde région. Les Arméniens du Karabagh dénonçaient des discriminations, notamment dans le système éducatif, les médias et la vie politique, ce qui les a incités à réclamer leur rattachement à l'Arménie. Ces revendications, émergeant à la fin des années 1980, ont déclenché des affrontements violents entre les deux communautés, dont un pogrom anti-Arméniens à Bakou en 1988. La situation a tellement dégénéré que l'armée soviétique a dû intervenir à plusieurs reprises.

En somme, ce ne fut pas la dissolution de l'URSS qui a engendré ces tensions, mais elle les a libérées complètement. L'effondrement de l'URSS a eu pour conséquence de libérer ces tensions nationalistes, d'autant que l'armée soviétique n'existait plus pour mettre fin aux violences intercommunautaires. Le retrait des forces d'interposition décidé par Eltsine a marqué le début d'une véritable guerre qui a duré trois ans jusqu'à un cessez-le-feu en faveur des Arméniens en 1994. À cette époque, l'armée arménienne était mieux organisée et bénéficiait d'un soutien accru de sa diaspora. À la fin de ce conflit, elle contrôlait environ 13 % du territoire de l'Azerbaïdjan, incluant la région du Karabagh et les territoires adjacents.


Cette situation est corroborée par l'accord de 1994, accepté par les Arméniens mais toujours rejeté par Bakou. Les deux présidents successifs de l'Azerbaïdjan, Heydar Aliyev et son fils Ilham Aliyev, ont toujours insisté sur l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan. Ils ont maintes fois déclaré que si la question ne pouvait être résolue par la diplomatie, elle devait l'être par la force, selon l'expert du Caucase Jean Radvanyi. " Les deux présidents successifs de l’Azerbaïdjan ont maintes fois déclaré que si la question ne pouvait pas être résolue par la diplomatie, elle devait l’être par la force. On voit qu’ils ont tenu parole. "

La non intervention internationale

La Russie montre de constants signes d'affaiblissement, surtout dans le Sud Caucase. Ce déclin est étroitement lié à l'échec majeur de sa politique envers ce que Moscou appelait "l'étranger proche", tant sous Eltsine que sous Poutine. Ils n'ont jamais réussi à établir une politique équilibrée envers leurs voisins, que ce soit au sein de la Communauté des États indépendants ou d'autres instances successivement créées.

Le principal problème pour les Russes est qu'ils ont négligé un élément crucial : ils ne sont plus les seuls acteurs influents dans la région. Depuis la dissolution de l'URSS, les autres États cherchent à établir des alliances ailleurs pour équilibrer la pression russe. C’est ce qui s’est passé en Ukraine, dans les États baltes, au Kazakhstan, en Asie centrale et dans le Caucase. Chaque État poursuit son propre agenda. Par exemple, l'Azerbaïdjan, en tant que nation turcophone, voit la Turquie comme un allié naturel, d’autant que depuis le début du XXe siècle, celle-ci souhaite établir une influence pan-turque dans la région, ce qui crée des tensions avec des pays comme l’Arménie. Chaque nation cherche donc de nouveaux alliés : la Géorgie vers l’Union européenne et les États-Unis ; les pays Baltes et l’Ukraine aussi, etc.

Quant à l’Arménie, elle est dans une position délicate. D’une part, la vision pan-turque d’Ankara et les aspirations géopolitiques de Bakou, notamment leur désir de créer un corridor terrestre traversant des territoires arméniens, alimentent cette animosité. De plus, l’enclavement géographique de l’Arménie accentue son isolement, la privant d’opportunités économiques et stratégiques et la rendant dépendante des routes de transit souvent sous contrôle hostile. D’autre part, bien que l’Arménie puisse compter sur le soutien de sa puissante diaspora, notamment en France et aux États-Unis, elle peine à trouver des alliés de poids sur la scène internationale. 

La majorité des acteurs mondiaux majeurs demeurent indifférents à sa situation, laissant l’Arménie dans une position de vulnérabilité. Et puis, ses relations avec la Russie, bien que potentiellement bénéfiques, sont teintées d’ambiguïté. Moscou, que ce soit sous Eltsine ou Poutine, a souvent monnayé son soutien, demandant en retour des concessions économiques, politiques ou militaires. Ce type de relation, où l’aide est conditionnée, met l’Arménie dans une position délicate, la forçant à jongler entre ses aspirations à la souveraineté et les demandes d’une grande puissance.

Ce que montre la séquence actuelle c’est qu’en plus de s’affaiblir, la Russie affaiblit ses alliés ce qui, en retour, fragilise encore sa position dans cet espace. Les conflits qui déchirent cet espace affectent directement le voisinage de l’Union européenne, mais celle-ci apparaît étonnamment discrète.


Historiquement, bien que la région ne soit pas très éloignée de l’Europe, les pays européens n’y ont pas été très présents. Bien sûr, il y a eu des interventions sporadiques, comme celles des Allemands et des Anglais pendant la Première Guerre mondiale. Cependant, la position des occidentaux, en particulier celle de l’Union européenne, a souvent été perçue comme hypocrite. Par exemple, peu après l’indépendance des pays du Caucase dans les années 1990, l’Union européenne a signé des accords mettant en avant des principes contradictoires : l’intégrité territoriale avec l’Azerbaïdjan et le droit des peuples à l’autodétermination avec l’Arménie.

Cette contradiction est manifeste dans la question du Haut-Karabakh. D’un côté, l’Azerbaïdjan souhaite reprendre le contrôle de cette région, de l’autre, l’Arménie veut l’intégrer. Malgré ses bonnes intentions, l’Union européenne est confrontée à une contradiction fondamentale dans sa politique. De plus, l’Azerbaïdjan étant un pays riche en pétrole et en gaz, les États membres de l’Union européenne sont réticents à l’offenser, préférant préserver leurs intérêts économiques.

Mais chaque conflit a ses propres spécificités...

Toutefois, de nombreuses questions demeurent en suspens.

C’est le jeu des puissances régionales.

C’est le jeu des puissances régionales. Et si l’Iran est hostile à l’Azerbaïdjan, en revanche Ankara le soutient pleinement et la Russie ne veut se fâcher ni avec l’Azerbaïdjan, ni avec la Turquie.

La situation semblait à peu près stabilisée, notamment du fait de la présence des forces russes de maintien de la paix stationnées le long de ce fameux corridor de Latchine

Il faudra suivre l' histoire de jonction de l’Azerbaïdjan et de la Turquie à travers le sud de l’Arménie. Si cela se matérialise, c’est une catastrophe de plus pour l’Arménie, qui risquerait d’être réduite territorialement.

"Mais c’est un scénario que l’Iran voudra absolument empêcher, car Téhéran tient beaucoup à conserver une frontière commune avec l’Arménie et un tel corridor reviendrait à l’en priver. Une déflagration généralisée ne serait alors pas à exclure.", selon Taline Ter Minassian, historienne, professeur des universités. Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).




Jaimie Potts pour DayNewsWorld