SOMMET DE L'OTAN EN ORDRE DISPERSE

OU DES FISSURES DANS L'ALLIANCE

Les dirigeants des pays de l’OTAN sont réunis mardi 11 et 12 juillet 2023 pour un sommet crucial en Lituanie, aux portes de la Russie. Les 31 dirigeants des pays de l'Alliance euro-atlantique - bientôt 32 avec la Suède - se devaient de trouver un « message clair et positif », avait promis le secrétaire général de l'Otan, Jens Stoltenberg. Le communiqué final affirme ainsi : « L'avenir de l'Ukraine est dans l'Otan… les Alliés continueront d'aider l'Ukraine à progresser sur la voie de l'interopérabilité ainsi que dans les réformes supplémentaires requises sur le plan démocratique et dans le secteur de la sécurité […] Nous serons en mesure d'adresser à l'Ukraine une invitation à rejoindre l'Alliance, lorsque les Alliés l'auront décidé et que les conditions seront réunies. »

Des sensibilités différentes

Mais au sein de l'Alliance, on rappelle que l'adhésion de l'Ukraine est l'affaire de tous. Les diplomates ont ainsi longtemps négocié pour trouver comment inviter l'Ukraine plus fermement qu'en 2008, tout en sachant que la porte ne peut être ouverte à un pays en guerre.

Au sein de l'Alliance, les sensibilités sont différentes entre, d'un côté, les pays baltes qui aimeraient intégrer au plus vite l'Ukraine et, de l'autre, les Etats-Unis soucieux des équilibres nucléaires mondiaux . S'il a été très allant sur l'assistance militaire conséquente à Kiev, le président américain Joe Biden a toujours été beaucoup plus réservé quant aux promesses d'adhésion de l'Ukraine à l'Alliance.

"Le processus d'adhésion à l'Otan prend du temps", a-t-il martelé sur CNN avant de s'envoler pour l'Europe.

Et le locataire de la Maison Blanche a évoqué, pour l'heure, un accord similaire à celui qui lie les Etats-Unis et Israël: l'Etat hébreu reçoit tous les ans plusieurs milliards de dollars de Washington en aide militaire, ce qui lui offre une visibilité à long terme. Ces engagements de fourniture d'armes sur le long terme sont discutés entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne. Selon des sources diplomatiques, ces engagements seraient formulés en dehors du cadre de l'Otan. Les promesses d'armes viendraient en complément des dizaines de milliards de dollars d'équipements déjà livrés à l'Ukraine depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il y a un peu plus de 500 jours.

"Sans précédent et absurde", selon Zelensky

Le refus de fixer un délai pour l’adhésion de son pays est "sans précédent et absurde", estime le président ukrainien.

«La volonté de Volodymyr Zelensky d’adhérer à l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord fait le jeu de Poutine», analyse un ancien général américain interrogé sur la chaîne MSNBC. "Il me semble qu’il est imprudent d’insister sur ce geste public. Cela sert la stratégie de Poutine. […] Je pense donc qu’il a dépassé les bornes, et ce n’est pas bon pour l’Ukraine."

Son de cloche similaire pour la BBC, pour qui «le fait que Volodymyr Zelensky ait déclaré que l’absence de calendrier était "absurde n’a fait que souligner son échec diplomatique".

"L’Ukraine n’est pas près de rejoindre l’Alliance"

Les alliés doivent présenter ce jour un plan d’engagements à long terme pour la sécurité du pays envahi par la Russie. Pour tenter de le rassurer, les pays du G7 devraient publier une déclaration commune sur le soutien à Kiev dans les années à venir, afin de l’aider à combattre la Russie et à contrer de futures agressions. Pour convaincre le président ukrainien que son pays se rapproche bel et bien de l’Alliance, une première réunion d’un conseil Ukraine-OTAN aura également lieu.

"L’Ukraine n’est pourtant pas près de rejoindre l’Alliance", estime un éditorialiste dans les colonnes du Washington Dans une tribune intitulée «Pourquoi la plainte de Zelensky concernant l’adhésion à l’OTAN est déraisonnable", l’auteur juge qu’une adhésion de l’Ukraine à l’OTAN équivaudrait à une «déclaration de guerre retardée à la Russie».

Et de continuer « Il y a une autre raison pour laquelle l’Ukraine n’est pas encore près de rejoindre l’Alliance. Le gouvernement de Volodymyr Zelensky a également une fâcheuse tendance à mentir lorsque ses actions suscitent une réaction internationale défavorable. Cette dynamique ne fait qu’aider la Russie et est incompatible avec l’intérêt primordial de l’OTAN pour la confiance et un dialogue clair.»

Malgré les atermoiements pour une adhésion rapide à l'Otan tout un train de nouvelles livraisons d'armes a été annoncé dès mardi.

De nouvelles livraisons d'armes

La France va livrer des missiles à longue portée Scalp à l’Ukraine. Le président français, Emmanuel Macron, a fait cette annonce mardi, au premier jour du sommet de l’OTAN. Le missile de croisière Storm Shadow, appelé Scalp par l’armée française, qui est développé conjointement par le Royaume-Uni et la France, est lancé depuis les airs. Il a une portée de plus de 250 kilomètres, plus que toutes les autres armes fournies à Kiev par les pays occidentaux. Avec leur longue portée, ces missiles ont la capacité d’atteindre des zones dans l’est de l’Ukraine contrôlées par les forces russes.Paris va ainsi suivre Londres dans sa décision de fournir des missiles air-sol guidés permettant de frapper des cibles fixes à longue distance.

Berlin va livrer pour près de 700 millions d’euros d’armes supplémentaires à l’Ukraine, a-t-on appris de sources gouvernementales allemandes, mardi, au premier jour du sommet des dirigeants de l’OTAN réunis à Vilnius. Deuxième contributeur en matière d’aide militaire pour l’Ukraine après les Etats-Unis, l’Allemagne avait déjà annoncé le 13 mai, la veille d’une visite du président Volodymyr Zelensky, des livraisons d’armes pour 2,7 milliards d’euros. Berlin a intensifié ses efforts : il livre d des munitions, des chars Leopard et de la défense antiaérienne.

Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a également annoncé mardi une déclaration commune des pays du G7 (France, Etats-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, Japon, Italie, Canada) sur des « engagements de sécurité » pour l’Ukraine.

Les armes à sous-munitions de Biden proscrites par la convention d’Oslo

Sans compter l 'annonce de livraison de bombes à sous-munitions à l’Ukraine de la part de Biden de vendredi dernier: Les Etats-Unis ont en effet annoncé vendredi dernier une nouvelle aide militaire de 800 millions de dollars à l’armée ukrainienne, dont des armes à sous-munitions très controversées. C’est le 42e paquet de ce genre qui sera livré par la première puissance militaire mondiale pour une valeur totale de plus de 41 milliards de dollars.

En fait, ces armes à sous-munitions dispersent de petits projectiles explosifs de manière aléatoire, et cela sur des surfaces larges comme quatre stades de football. Certaines sous-munitions n'explosent pas à l'impact et représentent donc un danger pendant des décennies après les conflits.

Une loi américaine interdit normalement la production et l'exportation des sous-munitions avec un taux d'échec supérieur à 1%, ce qui couvre presque tout le stock américain. Mais Joe Biden compte bien contourner cet obstacle en s'appuyant sur un autre règlement : il peut fournir n’importe quelle aide militaire s'il juge que cela est dans l'intérêt national de sécurité de son pays.

Les Américains n'en produisent plus, mais Washington en a en stock et pourraient fournir aux forces ukrainiennes des armes à sous-munitions pour des obusiers de 155 millimètres.

" Une arme à sous-munition c'est une arme qui, en son corps, va contenir plusieurs autres petites munitions explosives actives, et non pas juste des bombes à billes inertes. Cela peut permettre de traiter avec moins de munitions, en tirant une seule fois, sur une surface qui va être beaucoup plus large. Quand vous regardez les vidéos d'entraînement avec ce genre de munitions, vous voyez que les zones d'arrivée, traitées par chaque obus, sont souvent bien supérieures. Simplement parce qu’un obus va en lâcher d'autres, qui pourront à leur tour exploser, et faire encore plus de dégâts sur une surface beaucoup plus large et beaucoup plus dense." explique un expert.

Certaines de ces petites bombes peuvent rester actives pendant des années voire des décennies et présentent donc un risque grave pour les populations civiles qui vivent dans les zones touchées par ce type de bombardement. Le taux d’échec d’explosion des armes à sous-munition varie grandement de 2 à 40% à cause de nombreux facteurs.

5 à 10% de ces bombes à fragmentation n'explosent pas à l'impact constituant un danger pour les populations, rappelle Human Rights Watch qui exhorte les États-Unis à ne pas en fournir. Contraints de constater la supériorité russe en matière d’artillerie, les Etats-Unis de Joe Biden ont donc franchi un cap éthique en acceptant de fournir aux Ukrainiens ces armes dévastatrices pour les civils , interdites d’usage dans de très nombreux pays.

La prise de distance des Alliés

Comme l’a admis la Maison Blanche, l’intensité des combats conventionnels en cours a mis à rude épreuve les réserves américaines, au point d’ouvrir la voie à ces livraisons controversées pour contrebalancer la supériorité russe en matière d’artillerie. Cet aveu de faiblesse concerne tous les alliés occidentaux de l’Ukraine.

La polémique sur les bombes à sous-munitions livrées par les Etats-Unis cache l’essoufflement des soutiens à l’Ukraine. Les alliés des Etats-Unis sont en effet réservés sur cette livraison d'armes. La convention d’Oslo de 2008, dont de nombreux pays de l’OTAN sont signataires, proscrit ce type d’armement qui peut causer de nombreux dommages chez les civils.

Juste avant de recevoir Joe Biden à Londres, lundi, à la veille du sommet de l’OTAN de Vilnius (Lituanie), le premier ministre britannique, Rishi Sunak, a ainsi pris ses distances avec la décision américaine. Il a rappelé que le Royaume-Uni a signé la convention d’Oslo et « décourage » l’utilisation des armes à sous-munitions. " Nous continuerons à faire notre part pour soutenir l’Ukraine contre l’invasion illégale et non provoquée de la Russie", a-t-il précisé. Même son de cloche du côté de Madrid. " L’Espagne, sur la base de l’engagement ferme qu’elle a pris avec l’Ukraine, a également pris l’engagement ferme que certaines armes et bombes ne peuvent être livrées en aucune circonstance ", a déclaré la ministre de la défense, Margarita Robles, samedi. La Nouvelle-Zélande et le Canada ont martelé leur opposition à ce type d’équipements : « Nous ne soutenons pas l’usage d’armes à sous-munitions et nous efforçons de mettre un terme aux effets que ces armes (…) ont sur les civils, en particulier les enfants », a commenté le gouvernement canadien.

Quant à la France, elle aussi a rappelé son opposition de principe à l’usage de ces matériels, et souligné son "engagement de ne pas produire ou utiliser d’armes à sous-munitions".




Jenny Chase pour DayNewsWorld