POURQUOI LA COMMISSION EUROPEENNE

VEUT  DEREGLEMENTER

LES NGT CES "NOUVEAUX OGM"

"Nouveaux OGM à risque" pour leurs détracteurs, "biotechnologies d’avenir" pour leurs défenseurs…

La Commission européenne vient d’ouvrir le chantier d’une réglementation distinguant les Nouvelles technologies génétiques (NGT), reposant sur la mutagénèse, des OGM, recourant à la transgénèse.

Des modifications génétiques plus ciblées, plus précises et plus rapides que les techniques traditionnelles de sélection, des plantes issues des NGT aussi sûres que les variétés issues de ces mêmes techniques traditionnelles de sélection, une surveillance adaptée à leur profil de risque, des traits génétiques potentiellement porteurs de durabilité, d’adaptation au changement climatique et de sécurité alimentaire, le tout sans modifier le moindre gène de la réglementation OGM en vigueur depuis 2001 : tels sont les arguments énoncés par la Commission européenne, qui a présenté le 5 juillet une proposition de loi visant à distinguer le cadre juridique des NGT de celui des OGM, le tout sur fond de Green deal.

La Commission européenne projette ainsi de déréguler les NGT. Ces OGM nouvelle génération seraient largement exemptés des règles d’autorisation, de traçabilité, d’étiquetage et de surveillance imposées à leurs homologues historiques.

Ces techniques, attendues par une majorité de syndicats agricoles et d'Etats membres, permettent de développer des variétés végétales améliorées, qui pourraient être plus résilientes au changement climatique et aux organismes nuisibles, nécessiteraient moins d'engrais et de pesticides ou offriraient des rendements plus élevés. Voici les promesses des "NGT", les "nouvelles technologies génomiques", dans le secteur agricole  selon la Commission.

Les NGT sont de "nouveaux OGM" ?

Les OGM sont des organismes dont le génome a été modifié en laboratoire pour leur conférer de nouvelles caractéristiques. Les NGT reposent sur une technique innovante : les "ciseaux moléculaires", également connus sous le nom de CRISPR-Cas9. Ils permettent des modifications génétiques très précises, sans nécessairement introduire de matériel génétique externe à l'organisme de base. Ainsi, les NGT sont bel et bien des OGM. Les modifications génétiques réalisées à travers les NGT relèvent plutôt de ce que l'on appelle la "cisgénèse", qui consiste à transférer artificiellement des gènes entre des organismes de la même espèce. Les NGT exploitent également certains processus de mutagénèse ciblée. Contrairement à l'ajout d'un gène externe, il s'agit ici de provoquer une mutation génétique en exposant l'organisme à des agents énergétiques ou chimiques, tels que des rayons X.

Les NGT sont encore à un stade expérimental, avec seulement quelques essais menés sur des champs de maïs en France et en Belgique, ainsi que des cultures de pommes de terre en Suède.
Cependant, les NGT ne sont pas des OGM transgéniques. La transgénèse consiste à transférer un gène d'une espèce à une autre en laboratoire, sans reproduction sexuée. Les OGM transgéniques soulèvent parfois des inquiétudes quant à leurs répercussions éthiques et à leur impact potentiel sur la santé des consommateurs et la biodiversité.

Vers la dérégulation des NGT ?

Depuis une décision de 2018, les NGT sont considérées juridiquement comme des OGM, conformément à la législation européenne. En raison de leur développement scientifique récent et de leur caractère artificiel, tous les organismes génétiquement modifiés sont soumis à une réglementation stricte. Les limites d'utilisation sont définies par trois textes, dont la directive principale de 2001 et deux règlements. Actuellement, aucun OGM ne peut être commercialisé ou disséminé dans l'environnement sans autorisation, qui est délivrée en l'absence de risques pour la santé et l'environnement. Les OGM autorisés à la commercialisation sont également soumis à une surveillance, une traçabilité et un étiquetage conformément à ces règlements.

La Commission européenne propose de créer deux catégories distinctes de NGT.

La première comprendrait les mutations "complexes" impossibles à obtenir sans intervention artificielle et resterait soumise à la réglementation actuelle des OGM. La deuxième catégorie engloberait les mutations obtenues par modifications génétiques, mais qui pourraient être obtenues naturellement ou par hybridation/sélection agricole traditionnelle. Cette deuxième catégorie serait soumise à une importante dérégulation, sans évaluation des risques ou autorisation préalable, et sans traçabilité. Les produits de cette catégorie seraient donc traités comme des semences conventionnelles.
Les NGT "mutations simples" dérégulées seraient simplement enregistrées dans une base de données publique, avec une obligation d'étiquetage spécifique uniquement pour les semences. La Commission Européenne propose toutefois une restriction : aucun produit NGT ne pourrait être labellisé "bio".

Les arguments "pour" et "contre" les NGT

L'annonce de la Commission européenne, qui a reporté la question de la propriété intellectuelle, a suscité des réactions prévisibles.

En mars 2021, l'ONG Corporate Europe Observatory a publié une série de documents intitulée "Crispr Files", révélant l'influence importante des géants de l'agronomie et des chercheurs en biotechnologie au sein de la Commission européenne en faveur de la dérégulation des NGT. Jusqu'à présent, les géants de l'agrochimie devaient financer de manière indifférenciée les procédures réglementaires d'homologation européenne pour tous leurs OGM. Pour les partisans de ces modifications génomiques, assouplir les contraintes légales et financières liées au développement des NGT "mutations réduites" permettrait d'accélérer la recherche dans ce domaine et de démocratiser ces technologies "à moindre risque" au sein de l'UE.

Selon leurs défenseurs, les "nouveaux OGM" pourraient jouer un rôle crucial dans la transition écologique, la lutte contre les crises alimentaires mondiales et l'impact du changement climatique. Pour certains chercheurs, la modification du génome représente un moyen concret de rendre les plantes plus résistantes au stress hydrique (face aux sécheresses de plus en plus fréquentes), plus productives sur une même surface ou encore plus robustes face aux maladies. Les semences issues des NGT, naturellement "anti-nuisibles", pourraient également réduire l'utilisation de produits chimiques polluants, contribuant ainsi à l'objectif européen de réduire de moitié l'utilisation des pesticides d'ici 2030.

En revanche, pour les ONG environnementales, les NGT sont considérées comme des "OGM cachés" et devraient donc être soumises aux mêmes réglementations que les OGM traditionnels. Selon ces organisations, le risque d'erreur génétique est présent de la même manière. Selon Suzanne Dalle, membre de Greenpeace, la "complexité" des mutations établie comme critère par la Commission européenne ne constitue pas un indicateur fiable de l'impact potentiel d'une semence issue des NGT sur la nature. En effet, même des mutations obtenues par sélection agricole traditionnelle peuvent être préjudiciables à la biodiversité. Des "contournements" pourraient donc survenir, comme l'apparition d'un parasite plus virulent en l'absence d'un autre parasite neutralisé grâce à une mutation dans la plante.
Une autre inquiétude concerne ce que les anglophones appellent les "Super Crops", des "super variétés" extrêmement résilientes issues des NGT, qui pourraient à long terme réduire la diversité des cultures et uniformiser les paysages agricoles.

En outre la dissémination de nouveaux OGM appauvrirait davantage la biodiversité agricole et la santé des sols, essentielles pour garantir la sécurité alimentaire, en encourageant les monocultures et l'uniformité génétique. Certains chercheurs s'inquiètent également de l'impossibilité de retracer l'origine d'une semence, qu'elle soit naturelle ou artificielle, sans obligation de traçabilité. Ainsi, dans le cas de deux champs voisins, la pollinisation pourrait se produire de manière incontrôlée entre une semence OGM et une semence "bio", sans possibilité de suivre les fécondations et les éventuelles multiplications de la modification génétique. De plus, l'absence d'étiquetage sur les aliments contenant des produits issus des NGT priverait les consommateurs de connaître le contenu de leur assiette .

L'application du principe de précaution ?
Dans un souci de prévention des phénomènes de concentration, l'Académie des technologies préconise également un déploiement progressif des NGT, ce qui permettrait d'ajouter des précautions tout en évitant les concentrations observées lors du développement des OGM. Ces derniers se caractérisent par une concentration géographique (85 % des cultures OGM se trouvent sur le continent américain), une concentration spécifique (le soja, le maïs, le coton et le colza représentent 99 % des surfaces cultivées en OGM) et une concentration agronomique (la tolérance aux herbicides et la résistance aux ravageurs concentrent la quasi-totalité des modifications génétiques).

L'Académie souligne également le phénomène de concentration industrielle inhérent aux biotechnologies, que les NGT ne remettraient pas en question, tout en soulignant le retard de la France et de l'UE par rapport aux États-Unis et à la Chine dans le domaine de l'édition du génome, symbolisée par la technologie des ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9. Cette technologie a d'ailleurs valu à sa co-découvreuse française un prix Nobel de chimie en 2020, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives thérapeutiques dans le domaine de la santé humaine.
En France, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) préconise l'application du principe de précaution en ce qui concerne les NGT. L'Autriche, la Hongrie, l'Allemagne et le Luxembourg sont également opposés au développement de cette technologie.

Face aux craintes des détracteurs des OGM, l'exécutif européen affirme adopter une approche prudente en excluant la transgenèse (introduction de matériel génétique d'une espèce avec laquelle les croisements ne sont pas possibles), qui continuerait de relever de la législation de 2001 sur les OGM.

Elle autoriserait des techniques aboutissant à des organismes similaires à des plantes qui pourraient connaître une telle évolution par croisement naturel ou dans le cadre de la sélection conventionnelle. On parle ici de mutagénèse ciblée (mutations du génome sans insertion de matériel génétique étranger, par exemple par des modifications au sein de la même espèce végétale) et de cisgénèse (insertion de matériel génétique entre des plantes naturellement compatibles)


Les propositions de la Commission, qui exclut le secteur bio à la demande de ce dernier, seront maintenant examinées par les États membres, et le passage de ce projet de dérégulation devant le Parlement européen promet des débats animés entre les opposants et les défenseurs du projet..

 Les écologistes estiment à raison que ces « nouveaux OGM », qui impliquent une modification génétique, devraient rester soumis aux règles actuelles. »




Joanne Courbet pour DayNewsWorld