REFORME DES RETRAITES

VERS UN DURCISSEMENT DES ACTIONS ?

La colère gronde depuis le recours au 49.3 pour faire passer la réforme des retraites qui ravive les braises du mécontentement. Plus de 2500 personnes manifestent ce vendredi 17 mars 2023 sur cette place parisienne située devant l'Assemblée nationale. Selon un comptage de la police, il s'agit pour l'instant de 2 500 opposants au gouvernement qui manifestent pour l'instant dans le calme. Des rassemblements sont en cours à Toulouse et Bordeaux.

Tensions place de Concorde

Jeudi, un rassemblement similaire avait dégénéré en cours de soirée. Alors que près de 6 500 personnes s'étaient rassemblées ce jeudi 16 mars 2023 place de la Concorde pour montrer leur opposition au recours du 49.3 pour faire passer la réforme des retraites à l'Assemblée .

Le rassemblement avait dégénéré en début de soirée lorsque la police avait décidé d'évacuer la place parisienne. Des heurts avaient alors éclaté et de nombreux incendies (de poubelles ou de véhicules) avaient été allumés, avant que la situation ne se stabilise dans la nuit.

Au final, 258 personnes avaient été interpellées dans la capitale lors de ces débordements. Des scènes similaires avaient été constatées dans d'autres villes du pays, entraînant des dizaines d'interpellations supplémentaires.

La stratégie privilégiée par les syndicats depuis plusieurs années, soit des manifestations pacifiques, fondées sur le « nombre », malgré des succès passés, ne suffit pas – pour le moment – pour trancher le désaccord social sur la réforme des retraites.

Durcir le mouvement ?

Les syndicats ont longtemps hésité durant les dernières semaines entre continuer à manifester ou faire grève. Certains se disaient favorables à ce « durcissement » depuis le début, notamment des fédérations de la CGT – cheminots, énergie, chimistes (dont les raffineurs)… – mais aussi l’Union syndicale Solidaires (qui rassemble les syndicats SUD), connues pour son radicalisme et une type de syndicalisme « à l’ancienne », fondé sur le militantisme et, souvent, le conflit ouvert.

Mais que signifie le mot « durcissement » ? Il est censé illustrer une gradation dans l’action collective.

Celle-ci ne consistera plus seulement en des défilés pacifiques et intermittents.

Il s’agira d’actions plus déterminées, voire plus violentes et continues. L’objectif est d’engendrer des désordres dans l’économie ou dans la vie sociale ou quotidienne pour faire céder un gouvernement sourd aux seules manifestations de rue.

Vers de nouvelles formes d’actions ?

Tous les syndicats ne sont pas favorables à une telle évolution. Mais plus personne ne les exclut. Même la CFDT, qui a patiemment sculpté son identité réformiste depuis des années, ne la rejette pas, du moins par antiphrase.

Ainsi, son leader, Laurent Berger, faisant allusion aux « gilets jaunes », s’étonnait récemment que les formes d’actions « très violentes » (et minoritaires) aient obtenu gain de cause alors que les revendications portées par des manifestations pacifiques, bien plus nombreuses, laissent indifférents les pouvoirs publics.

Comment passer à ces nouvelles formes d’actions ? Grève d’un jour, voire reconductible… Dans certains secteurs, comme les éboueurs de Paris, c'est ce qui s'est dessiné cette semaine. La menace de « blocages » concernant l’approvisionnement en carburant est également agitée par certains militants.

Mais ce types d'action réussiront-elles à s’installer dans la durée et à peser ? On a vu, à l’automne dernier, que le gouvernement n’était pas sans moyens juridiques, par exemple en s’appuyant sur des réquisitions.

"Grève générale"

Une « grève générale » pourrait aussi se profiler même si elle n’est pas encore annoncée comme telle. L’intersyndicale préfère l’euphémisme de « mise à l’arrêt de tous les secteurs ».

Une telle grève paraît aussi hypothétique. Celles qui ont réussi – pour faire allusion au Front populaire ou à mai 1968 – n’ont pas été décrétées par les confédérations syndicales. Et le secteur privé, en particulier, ne semble pas prêt à une telle éventualité, d’autant plus que la responsabilité directe des entreprises n’est pas en cause dans la réforme. Comme une récente enquête du ministère du Travail vient de le rappeler, le taux de syndicalisation dans le secteur privé continue de reculer. Dès lors, pour les organisations syndicales, susciter et encadrer un tel mouvement paraît difficile. Les syndicats paient implicitement leur éloignement de bien des salariés à la base et notamment, des plus jeunes, même si leurs récents succès dans la rue montrent qu’ils sont bien vivants.

Le « durcissement » pourrait aussi venir d’une implication plus forte des organisations étudiantes. Présentes dans l’intersyndicale, ces dernières restent encore peu impliquées et les universités, sauf exception, ne connaissent pas de perturbations.

'Révolte des sous-préfectures"

Les confédérations syndicales, à l’instar de Laurent Berger, insistent par ailleurs beaucoup sur ce qui serait une « révolte des sous-préfectures ». Bref, le mouvement serait particulièrement actif dans les petites villes.

Un examen rapide révèle que la situation s’avère contrastée. Ce surcroît de manifestants dans certaines villes s’explique, semble-t-il par l’importance locale de l’emploi public. Cela confère à ces populations des taux de syndicalisation supérieurs à la moyenne.

Ainsi, cette « révolte des sous-préfectures » révélerait d’abord les forces et faiblesses de la syndicalisation. Mais les syndicats y voient surtout des exemples à suivre, traduction d’une colère profonde dans le tissu social.

Et pourtant l'exécutif reste sourd à la colère sociale qui gronde. Et dit ne pas vouloir renoncer à sa réforme des retraites. Aujourd’hui, bien qu’une très large partie de l’opinion se soit déclarée défavorable à la réforme, l’exécutif n’entend pas céder .

« On ne peut pas jouer avec l'avenir du pays », aurait martelé le chef de l'État jeudi 16 mars au matin.

L’exécutif a choisi de passer en force en ayant recours au 49.3.

C'est que les enjeux sont aussi multiples que considérables, au plan interne comme au plan international. La capacité de la France d’entreprendre, après le fameux quoiqu’il en coûte, un redressement de sa dépense publique sans creuser plus la dette, ne peut que rassurer ses partenaires politiques européens. Et c’est là un enjeu important, en cette période de hausse des taux d’intérêt.

Au-delà de la question des retraites, Emmanuel Macron met en jeu sa capacité à affirmer sa légitimité face à des oppositions aux formes multiples. Il s’agit là d’un test majeur.

Céder maintenant à la rue pourrait faire perdre toute autorité à Emmanuel Macron pour la suite du quinquennat et c'est ce que ce dernier redoute... dans une atmosphère pré-insurrectionnelle.




Alyson Braxton pour DayNewsWorld