PLAFONNEMENT DU PRIX DU PETROLE RUSSE

OU DES SANCTIONS A DOUBLE TRANCHANT

POUR LES OCCIDENTAUX

Depuis minuit, les importations de brut russe dans l'Union européenne sont interdites. Ce lundi 5 décembre 2022, s'applique également l'imposition d'un prix plafond de 60 dollars au baril de pétrole russe vendu à l'international.

Cet accord interdit aux entreprises des pays signataires de fournir des services permettant le transport maritime (fret, assurance, etc.) de pétrole russe, sauf si le prix de ce dernier est inférieur ou égal à 60 dollars le baril. Or, les pays du G7 accueillent les principales sociétés de transport maritime et d'assurance au monde (principalement en Grèce et au Royaume-Uni), ce qui leur assure donc un pouvoir de dissuasion crédible.

La volonté affichée est de priver la Russie, deuxième exportateur mondial de brut, de moyens de financer sa guerre en Ukraine. Le pays a en effet tiré 67 milliards d'euros de ses ventes de pétrole à l'UE depuis le début du conflit, pour un budget militaire annuel d'environ 60 milliards d'euros, rappelle Phuc-Vinh Nguyen, expert des questions énergétiques à l'Institut Jacques-Delors.

La prudence affichée de l'Opep+

Ces mesures prises par les économies développées font entrer le marché pétrolier mondial dans une situation inédite dont il est difficile de mesurer les conséquences. Prudente, l'Opep+ a décidé dimanche de s'en tenir au statu quo tout en se disant prête à agir rapidement si c'était nécessaire.

Depuis ce lundi, la Russie doit donc trouver un débouché à 1,1 million de barils par jour, pour compenser l'arrêt de ses exportations de brut vers l'Union européenne.

.La prudence a prévalu ce dimanche à l'issue de la réunion de l'Opep+, à quelques heures de l'application de l'embargo des pays de l'Union européenne sur leurs importations de brut russe (certains pays comme la Hongrie en sont exemptés). Celle-ci est redoublée par l'imposition d'un prix plafond au baril de brut russe vendu sur le marché international, décidée par les pays du G7 auxquels s'est joint l'Australie.

Le partenariat formé par l'Opep et une dizaine d'autres pays exportateurs d'or noir, dont la Russie, préfère attendre de savoir comment va réagir et évoluer le marché pétrolier mondial. En effet, c'est une situation inédite, avec la possible imputation de la production de l'un des acteurs majeurs de la planète. En 2021, la Russie exportait 8,23 millions de barils par jour (mb/j), soit 12,3% du volume de pétrole vendu internationalement, selon le BP Statistical Review. Au mois d'octobre, ses exportations étaient tombées à 7,7 mb/j.

La demande atone de la Chine

Finalement, les rumeurs émanant du cartel suggérant une hausse de la production pour compenser la perte des volumes russes ou une baisse pour pallier une chute des prix en raison de la demande atone de la Chine ne se seront pas concrétisées. Les membres de l'organisation s'en tiennent à la décision prise en octobre de réduire à partir de novembre leur quota de 2 mb/j, mais sont prêts « à se rencontrer à tout moment et si nécessaire prendre des mesures immédiates pour faire face à l'évolution du marché et en assurer la stabilité », indique le communiqué.

De leur côté, les économies développées, Etats-Unis en tête, veulent réduire les revenus de Moscou mais aussi éviter de faire flamber les prix du baril, qui ont contribué à faire grimper l'inflation depuis des mois à travers le monde à des niveaux que l'on n'avait pas vu depuis les années 1970. En théorie, cela se tient. Déjà, les exportations de brut russe sont passées de 2,4 mb/j en janvier, à 1,5 mb/j en octobre. Pour le moment, la Russie a compensé ces pertes de parts de marché en Europe en vendant son brut avec une décote à la Chine et l'Inde. Cette dernière, qui n'en achetait que 100.000 b/j en janvier, en importait 10 fois plus en octobre, à 1,1 mb/j. Pour sa part, la Chine est passée de 1,6 mb/j à 1,9 mb/j en octobre. Il est peu probable que ces deux pays puissent absorber à partir de ce lundi l'achat d'un volume de 1,1 mb/j, estimé par l'AIE. D'autant que la reprise de l'économie en Chine, premier importateur mondial de pétrole, n'est pas attendue avant la fin du premier semestre de 2023, en raison de la pandémie du Covid-19 et de sa politique stricte de « zéro Covid » qui limite l'activité. La demande chinoise a déjà baissé de 4% en 2022 par rapport à 2021.

Les raffineurs européens doivent trouver de nouveaux fournisseurs

Néanmoins, si les Russes ont un problème de débouchés, les raffineurs européens, eux, doivent trouver une alternative. S'ils peuvent le faire auprès des pays du Golfe et des pays africains, ils courent le risque non négligeable de racheter du brut russe via des intermédiaires.

La Commission européenne en est consciente. Elle a d'ailleurs préparé des mesures visant à sanctionner les pays qui contournent l'embargo européen. Une menace à peine voilée à la Turquie, soupçonnée d'avoir mis en place une voie détournée pour acheminer du brut russe dans les pays européens. Mais des intermédiaires privés pourraient être tentés de le faire. Freightwaves, une agence d'informations spécialisée dans le transport maritime, cite un rapport du négociant maritime BRS, qui indique qu'« il y a aujourd'hui 1.027 tankers composant une « flotte fantôme » opérant pour le transport de pétrole du Venezuela, de l'Iran et de la Russie ». Plus de la moitié (503) sont des bateaux de fort tonnage, dont certains ont été vendus depuis l'invasion de l'Ukraine à de petites compagnies maritimes, « qui voient une opportunité financière de tirer profit de la situation dans laquelle se trouve la Russie ».

En attendant, ce qui va dicter la réaction des acteurs du marché pétrolier sera à nouveau le prix. C'est évident pour l'Opep+. Les prix du baril ont perdu quelque 8% depuis un mois, mais ils restent toutefois supérieurs de plus de 21% à leurs niveaux d'il y a un an. Vendredi, le baril de WTI évoluait autour des 80 dollars et celui du Brent autour de 85 dollars. Sans le dire formellement, le prix d'équilibre pour le cartel se situe autour de 90 dollars.

Mais le choix des Européens d'accepter un prix plafond de 60 dollars, et non de 30 dollars, ne devrait avoir qu'un impact limité. Le prix de la qualité du brut russe le plus vendu, l'oural, s'élevait vendredi à 69,45 dollars, à peine 1% de moins que son prix d'il y un an. Mais la Russie négocie déjà ce brut à un prix décoté à ses clients extra-européens, entre 48 et 50 dollars, selon Argus Media, un cabinet spécialisé dans les prix des matières premières. L'acceptation des Européens d'un plafond à 60 dollars a d'ailleurs provoqué la colère du président ukrainien Volodymyr Zelensky, pour qui, un tel prix « est tout à fait confortable pour le budget de l'État terroriste », a-t-il commenté, samedi, selon les services de la présidence.

Une sanction inutile ?

Le vice-premier ministre russe, Alexander Novak, a déclaré dimanche que la décision de l'Occident constituait une ingérence grossière qui contredisait les règles du libre-échange et déstabiliserait les marchés mondiaux de l'énergie en provoquant une pénurie d'approvisionnement. « Nous vendrons du pétrole et des produits pétroliers uniquement aux pays qui travailleront avec nous dans les conditions du marché, même si nous devons réduire un peu la production », a-t-il ajouté.

Le Kremlin a prévenu qu'il ne livrerait plus de pétrole aux pays qui soutenaient le mécanisme, une position réaffirmée dimanche par le vice-Premier ministre russe en charge de l'Energie, Alexandre Novak.

De quoi placer certaines nations « dans une position très inconfortable : choisir entre perdre l'accès au brut russe bon marché ou s'exposer aux sanctions », explique Craig Erlam, analyste chez Oanda, site spécialisé dans la négociation d'actifs. De quoi, aussi, pour les armateurs grecs et les compagnies d'assurance britanniques notamment, perdre des marchés au profit de nouveaux concurrents ne se soumettant pas à des mesures de restriction. Des assureurs ou des transporteurs pourraient émerger ailleurs.

On retrouve le même risque, notamment dans le secteur assurantiel, le développement d'une activité de fret maritime étant, par nature, « plus long ». L'effet négatif serait alors double pour les pays du G7 : non seulement leurs entreprises perdraient des marchés, mais l'effet des sanctions serait atténué.

Cité par les agences de presse russes, Alexandre Novak. a même affirmé que la Russie travaillait « sur des mécanismes pour interdire l'utilisation de l'outil de plafonnement, quel que soit le niveau fixé », qui est assimilé d'ailleurs par plusieurs membres de l'Opep+ à une manipulation des prix du baril.

Moscou a également la possibilité de refuser de vendre des produits raffinés, (essence, diesel, gasoil...) aux pays européens, dont l'embargo ne s'appliquera officiellement que le 5 février, ce qui pourrait provoquer une flambée des prix de ces produits déjà sous tension.

Depuis le début de son offensive en Ukraine, Vladimir Poutine affirme que les États-Unis et leurs alliés mènent une guerre économique contre la Russie en appliquant les sanctions les plus sévères de l'histoire moderne.

La Russie pourrait néanmoins disposer de suffisamment de pétroliers pour expédier la majeure partie de son pétrole sans qu'il ne soit soumis aux restrictions occidentales, ont déclaré en octobre à Reuters des acteurs de l'industrie et un responsable américain, soulignant les limites du plan des pays occidentaux, pourtant le plus abouti pour limiter les revenus de guerre de Moscou.




Alize Marion pour DayNewsWorld