DES SITES DE RENCONTRE

 FONT APPEL A LA SCIENCE

Grâce à la génétique et les neurosciences, des applications de dating nouvelle génération arriveraient à calculer le degré d’attraction entre deux inconnus. Pourrait-on parler de prescience de l'amour ?

Pourrait-on savoir à l’avance si deux inconnus vont se plaire?  Les candidats à l’amour avec les beaux jours qui se profilent vont se faire légions en profils sur le web. Eh oui, une raison de plus de se tourner vers les sites de rencontres amoureuses ! Et encore plus en  période de confinement  où l'on ne peut pas s'asseoir à une terrasse de café !

Ce superpouvoir est plus que jamais désiré. Et voilà que des compagnies anglo-saxonnes se vantent d’avoir enfin déniché la solution pour prédire à coup sûr si deux personnes vont matcher.

Elles s’appellent Digid8, DNA Romance, Pheramor ou encore Instant Chemistry, des noms qui évoquent plus l’industrie chimique que le marché affectif.

Normal: ces récentes applications de rencontre proposent désormais d’anticiper le niveau d’attraction entre individus grâce à des paramètres biologiques.

Aux yeux de leurs créateurs notre corps serait en effet conditionné dès la naissance, nous amenant à craquer invariablement sur tel type de personne plutôt qu’un autre. Une compatibilité inconsciente régie par la génétique et la biochimie, donc mesurable scientifiquement.

"Le genetic match making" à la place des marieuses ?

«Cela fait des siècles que les humains fantasment de pouvoir faire de telles prévisions, constate Pascal de Sutter, professeur à la Faculté de psychologie de l’Université catholique de Louvain, en Belgique, et consultant pour l’émission de télé-réalité «Mariés au premier regard», qui unit pour la vie des quidams ne s’étant jamais vus.

Dans les villages, on trouvait notamment des marieuses, chargées de mettre en relation des célibataires selon des critères précis garantissant une attirance réciproque et durable. Aujourd’hui, la science nous donne plusieurs indications sur ce qui fera ou non marcher une rencontre.»

«En analysant l’ADN des couples de plusieurs espèces de mammifères, dont l’homme, on fait l’observation étrange que les partenaires paraissent ne pas se mettre ensemble complètement par hasard, soulève Ivan Rodriguez, professeur en neurogénétique à l’Université de Genève (UNIGE).

Cela se passe au niveau des récepteurs produits par des gènes liés au système immunitaire, qui possèdent plusieurs types distincts. Il est fait état d’une surreprésentation de couples dont les partenaires disposent de différents types de ces récepteurs.»

Guidés par des molécules comme chez les animaux ?

Les interprétations pouvant expliquer cet appairage demeurent très débattues et controversées, mais pour de nombreux chercheurs, le phénomène répondrait à un impératif de l’évolution.

«Du point de vue de la survie de l’espèce, il est probablement plus intéressant de voir naître des bébés avec un bouquet diversifié de récepteurs du système immunitaire, afin de mieux pouvoir affronter les agents pathogènes et les agressions du monde extérieur», éclaire Ivan Rodriguez. Mais alors, comment notre génome, travaillant dans l’ombre, piloterait-il nos attirances ?

Les mécanismes impliqués dans ces choix guidés des partenaires restent mystérieux, reconnaissent les spécialistes. Certains évoquent l’action des phéromones, des molécules que l’on sécréterait, capables de modifier le comportement chez l’autre lorsqu’il y a compatibilité. Pheramor, l’une des applis de dating futuriste, prétend créer les couples via l’analyse de ces composés chimiques chez ses utilisateurs. Pourtant, le consensus scientifique sur la question n’est pas là.

«Cette communication de molécules est avérée chez de nombreux animaux, mais elle n’est pas encore démontrée chez les humains», note Bernard Sablonnière, professeur de biochimie et de biologie moléculaire à la Faculté de médecine de Lille, en France, et auteur de La chimie des sentiments (Ed. Odile Jacob).

«Il y a peut-être une seule molécule, produite par les glandes sous l’aisselle, qui ait techniquement droit au titre de phéromone chez nous, signale Ivan Rodriguez. Mais pour notre espèce, on ne connaît pas de phéromone allant induire un comportement sexuel stéréotypé chez un partenaire.»

Si la piste des phéromones est finalement assez peu probable, l’hypothèse d’une communication inconsciente entre nos corps reste cependant privilégiée. Le canal de transmission le plus évident, alors ?

Notre nez, étant prouvé que «les odeurs ont un pouvoir discriminant fort et qu’une attirance à ce niveau est nécessaire pour une relation», souligne Francesco Bianchi-Demicheli, professeur à l’UNIGE et spécialiste en médecine sexuelle. Il y aurait ainsi des personnes qui inspirent un rapprochement et d’autres qui donnent plutôt envie de prendre la tangente.

Toutefois, là encore, il ne s’agit peut-être pas que de goûts personnels en matière de parfum, relève Ivan Rodriguez: «L’odeur corporelle est, entre autres, le produit de notre milieu microbien, puisque notre peau est couverte de millions de bactéries. Or ces dernières produisent des composés organiques qui peuvent refléter notre bouquet de gènes liés au système immunitaire. Certains chercheurs pensent que nous serions en capacité de sentir inconsciemment ces bouquets de récepteurs et de nous orienter préférentiellement vers les individus les plus complémentaires pour nous sur ce plan.»

La résonance entre deux êtres...

C’est donc un fait : nous subissons toujours la pression de la sélection naturelle. Du coup, avec ces applis du futur, a-t-on enfin inventé l’entremetteur parfait ?

Loin de là, tempèrent les experts, à l’instar de Bernard Sablonnière, pour qui «il existe davantage de paramètres neuropsychologiques que biologiques pour expliquer l’attraction entre deux êtres».

Les facteurs sensoriels impliqués dans l’attirance font également appel au visuel, à l’ouïe et au toucher, dernier point très important dans le processus de séduction pour notre espèce. Les humains font montre d’une sexualité d’une complexité extrême.

« Les phéromones peuvent certes jouer un rôle considérable, mais ça ne suffit pas garantir l'entente. Dans l'amour il y a une partie inconstante, variable, pleine de surprise, complètement rejetée de cette expérience. », ajoute le sexologue Antoine Spath,, auteur de Déjouer les pièges des manipulateurs et pervers narcissiques, c'est malin.

Chez nous, toute une «dimension culturelle s’ajoute aux facteurs présidant au choix du partenaire, qui va peser lourd face à une petite donnée d’ordre biologique», expose Ivan Rodriguez. Sur ce point aussi une certaine prévisibilité serait mesurable, avancent la psychologie et la sociologie, qui ont repéré un aimant quasi infaillible: l’homogamie.

«Ce constat est assez peu politiquement correct, même si c’est une réalité, assume Pascal de Sutter. Des personnes venant du même milieu socioculturel ont plus de chances de se mettre ensemble, car cette origine commune permet de se comprendre plus facilement et allège les défis à relever dans le couple.»

Démonstration est faite avec les sites de rencontre: alors que ces espaces permettent théoriquement d’annuler les barrières sociales et de faire se rencontrer toutes les catégories de la population, les couples qui s’y forment sont à l’arrivée plutôt homogames, comme le soulignait la chercheuse suédoise Marie Bergström dans son ouvrage «Les nouvelles lois de l’amour: Sexualité, couple et rencontres au temps du numérique» (Ed. La Découverte), en 2019.

...ne peut être programmée par un algorithme !

Et sinon, quid de la personnalité comme moteur de la séduction ?

Les opposés s’attirent-ils façon yin et yang, pôle Nord et pôle Sud ?

Affirmatif !

Du moins, au début. «Des profils complémentaires, avec des centres d’intérêt, des valeurs et des goûts divergents, des défauts et des qualités non partagés, génèrent souvent une attraction car la différence, l’inconnu, sont désirables, note Pascal de Sutter.

Ils se nourrissent les uns les autres durant les premiers temps, mais pour une relation sur le long terme, la science est assez claire, des personnalités similaires fonctionnent bien mieux.»

«Le signal olfactif est un acteur puissant dans l’histoire, de même que le poids de la culture, de la pensée collective, qui figent des codes de l’attractivité. Toutefois, il ne faut surtout pas oublier la dimension émotionnelle du désir. Des équations méconnues demeurent en suspens pour expliquer le sentiment de compatibilité.»

« Le charme est un paramètre non définissable scientifiquement. La résonance entre deux être ne peut être programmée par un algorithme.

Bien sûr, avec une telle expérience, on peut s'aimer, mais s'aimer bien, juste bien. Le courant qui passe entre deux êtres, ce n'est pas s'aimer " juste " bien. C'est une part insaisissable de nous, mystérieuse, qui nous fait nous aimer une vie entière. », confie Patricia Delahaie, psychosociologue, auteure de Comment faire la bonne rencontre




Sandra Stac pour DayNewsWorld