HUIT MILLIARDS D'INDIVIDUS SUR TERRE

 PETITS NOUVEAUX  ET  SURPOPULATION ?

Huit milliards aujourd'hui, dix milliards d'ici à la fin du siècle. 

Nous sommes désormais huit milliards d'humains sur la planète. Selon les modélisations de l'ONU, l'humanité franchit ce cap mardi 15 novembre, onze ans après avoir passé celui des sept milliards, le 31 octobre 2011.

Pour certains, cette annonce est à saluer comme la preuve de l'amélioration des conditions de vie des individus à l'échelle planétaire. Pour d'autres, elle apporte surtout son lot d'inquiétudes et de questionnements. 

Jusqu'où ira la croissance démographique ? 

Et alors que les dirigeants du monde entier sont réunis à l'occasion de la COP27 pour trouver des solutions au dérèglement climatique, la planète pourra-t-elle supporter et subvenir aux besoins d'une population de plus en plus nombreuse ?

« Nous attendons la naissance du huit milliardième habitant de la planète Terre. Cet événement doit à la fois permettre de nous émerveiller des progrès en matière de santé, qui ont permis d'allonger la durée de vie et de réduire considérablement les taux de mortalité maternelle et infantile, mais doit aussi sonner comme un rappel de notre responsabilité partagée à prendre soin de notre planète », résumait le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, le 11 novembre.

Barre symbolique des 8 milliards

Huit milliards d’habitants sur Terre. Selon les estimations des Nations unies, la population mondiale franchit cette barre symbolique des huit milliards ce mardi 15 novembre 2022. 

Le nombre a doublé en presque cinquante ans, face aux quatre milliards d’êtres humains qui habitaient la planète en 1975. La courbe va continuer de grimper dans les années à venir, jusqu’à un pic de 10,4 milliards de personnes, qui devrait être atteint à la fin des années 2080. 

Une baisse devrait ensuite s’amorcer jusqu’à la fin du siècle, selon la dernière projection de l’Onu, intitulée « Perspective de la population mondiale 2022 », sortie en juillet.

59 % de la population mondiale habitent aujourd’hui en Asie

4,7 milliards des huit milliards d’habitants de la planète vivent aujourd’hui en Asie, où se trouvent les deux pays les plus peuplés du monde : la Chine, avec 1,4 milliard d’habitants, et l’Inde. À noter que ce classement entre les deux géants devrait s’inverser d’ici 2023.

Le continent asiatique représente 59 % de la population mondiale, contre 18 % pour l’Afrique, 9 % pour l’Europe, 8 % pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 5 % pour l’Amérique du Nord et 1 % pour l’Océanie.

Les pays à la croissance démographique la plus forte se situent principalement dans les régions d’Asie du sud et d’Afrique subsaharienne. 

La croissance démographique est surtout importante en Afrique – ce sont « les pays d’Afrique subsaharienne qui devraient contribuer à plus de la moitié de l’augmentation prévue jusqu’en 2050 », selon le département des affaires économiques et sociales de l’Onu . 

Certains pays se démarquent par une évolution très rapide de leur taux de natalité. Si l'on compare ces deux cartes réalisées par le World Population Prospects, la dynamique démographique de tous les continents a baissé, même si certains gardent une cadence élevée. 

Mais d’autres, comme le Kenya, ont pris beaucoup d’avance face à leurs voisins. Même s’il était déjà en train de baisser, en 2011 son taux de fécondité était encore au plus haut, à plus de 35 naissances pour 1000 personnes. Aujourd’hui, sa transition démographique est en voie d’être achevée : 

en 40 ans, le Kenya ainsi est passé de 8 à 3,8 enfants par femmes c’est ce qu’on appelle la transition démographique. L’exemple du Kenya garde toutefois une moyenne élevée par rapport à l’Europe par exemple. 

Les pays européens trouvent leur équilibre entre 1,3 et 1,9 enfant par femmes. Cependant, le taux de fécondité en Afrique subsaharienne reste de 4,7 enfants par femmes selon l’AFD.

Conséquence, si la transition démographique en Afrique avance notamment grâce à une mortalité infantile bien plus faible qu’auparavant, la population africaine devrait atteindre 2,4 milliards d’habitants en 2050, estime rapporte l’Ined. Plus de la moitié de la croissance démographique du monde aura alors lieu en Afrique.

L’Asie du Sud et du Sud-Est connaît elle aussi une croissance importante, mais là encore, la dynamique est en plein évolution.

Si la Chine a achevé sa transition démographique il y a plus de dix ans, c’est désormais au tour de l’Inde de voir sa natalité d’effondrer. Le pays, avec 1,3 milliards d’habitants est a égalité quasi parfaite avec la Chine...mais en 2021 sa natalité vient pour la première fois de tomber sous le seuil de remplacement. Le pays devrait ainsi décroître après un pic atteint vers 2070.

A l'inverse ils sont huit pays à concentrer plus de la moitié de la population mondiale attendue dans les prochaines décennies. Il s’agit de la République démocratique du Congo, de l’Égypte, de l’Éthiopie, de l’Inde, du Nigeria, du Pakistan, des Philippines et de la Tanzanie.

Cependant « le plus gros de la croissance démographique est derrière nous »

Selon les projections de l'ONU publiées en juillet, la population mondiale devrait atteindre un pic dans les années 2080 puis se stabiliser autour de 10,4 milliards d’habitants. « Dix milliards, cela peut paraître énorme, mais c'est finalement une faible augmentation si on la compare à celle des soixante dernières années », affirme Gilles Pison, spécialiste de la démographie mondiale, professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle et conseiller auprès de l’Institut national d’études démographiques (Ined).

La barre symbolique du premier milliard d'individus sur la planète avait été franchie en 1800, celle des deux milliards en 1927 puis celle des trois milliards en 1960. « À partir de là, le rythme d'augmentation de la population s'était accéléré de façon vertigineuse, avec une croissance démographique de 2 % par an. À l'aube des années 2000, nous étions ainsi six milliards sur la planète, soit six fois plus que deux cent ans auparavant », détaille le démographe.

« Depuis, la population continue, certes, de croître, mais de moins en moins vite. Aujourd'hui, la croissance démographique n'est plus que de 1 %. Et elle va très certainement continuer de baisser. »

« La menace d'une 'bombe démographique' que certains craignaient s'éloigne », pour Gilles Pison.

« Le plus gros de la croissance démographique est même derrière nous. » 

Mais surtout, une fois le cap des dix milliards atteint, la population devrait se stabiliser puis commencer à décroître lentement. Pour cause, selon l'ONU, le taux de fécondité devrait passer de 2,3 enfants par femme, en moyenne, dans le monde aujourd'hui à 2,1 en 2050. Il se stabiliserait ensuite à 1,8 en 2100 – le seuil qui marque la fin du renouvellement des générations.

Contrôler les naissances ?

Face à cette perspective ressurgit cependant la question de ce que la planète peut supporter. L'angoisse n'est pas récente : dès l'Antiquité, Platon et Aristote s'inquiétaient, dans leurs écrits, de la destruction des forêts et de la disparition de sources d'alimentation. Plus tard, en 1798, dans son « Essai sur le principe de la population », Thomas Malthus s'alarmait à son tour d'un déséquilibre entre population et ressources. Mais aujourd'hui, face au dérèglement climatique, la crainte se dédouble, avec à la fois la peur que la planète ne puisse pas subvenir aux besoins de toute la population, mais aussi que cette dernière, trop nombreuse, ne finisse par détruire son habitat.

« Nous allons au désastre parce que la population augmente beaucoup trop vite », affirme ainsi Michel Sourrouille, auteur du livre Alerte surpopulation : le combat de démographie responsable (éditions Édilivre). L’homme de 75 ans se dit malthusien prônant une baisse de la natalité pour que la croissance de la population ne surpasse pas celle des ressources.

« On ne peut pas vivre plus nombreux que les ressources que la planète nous donne »

Stabiliser la population, voire la diminuer, est la solution pour sauver la planète, pense Michel Sourrouille : « On ne peut pas vivre plus nombreux que les ressources que la planète nous donne. C’est la loi des rendements décroissants : plus on prend des ressources à la Terre, plus on l’épuise. » En 2022, le jour du dépassement – la date à partir de laquelle l’humanité a consommé l’ensemble des ressources que la planète peut régénérer en un an, calculée par le Global Footprint Network – a été établi au 28 juillet…

Pour de nombreux scientifiques  la croissance démographique est ainsi « l'un des principaux facteurs de menaces environnementales ». Pour eux, la réponse est donc simple : il faut diminuer la population humaine pour alléger la pression sur la planète. En France, l'association Démographie responsable milite ainsi, par exemple, pour plafonner les allocations familiales à deux enfants. Même combat, au Royaume-Uni, pour l'organisation Population Matters.

Une solution balayée par le démographe Gilles Pison. « Pour arrêter la croissance démographique subitement, il n'y a que trois solutions : provoquer une hausse de la mortalité – ce que personne ne souhaite –, déménager sur une autre planète – ce qui est irréaliste – ou, effectivement, contrôler la natalité", explique-t-il. "Or, cette solution est tout aussi irréaliste. C'est illusoire de croire qu'il suffit d'adopter des politiques de contrôle des naissances pour voir la population mondiale baisser. »

Pour Emmanuel Pont, ingénieur, plus nuancé dans son propos et auteur du livre Faut-il arrêter d’avoir des enfants pour sauver la planète ? (2022 , Payot), diminuer la population n’est pas la « priorité »

Emmanuel Pont pointe aussi du doigt la chronophagie d’une politique de contrôle des naissances. « Il faut beaucoup de temps pour que la population évolue. J’avais fait le calcul, si on introduit la politique de l’enfant unique en France, il faudra attendre à peu près 2100 pour que la population soit divisée par deux, détaille-t-il. Sachant que l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone en 2050, il sera déjà trop tard. »

En aucun cas, il ne faut imposer de mesures autoritaires. Un avis partagé par Emmanuel Pont : « Dans l’histoire, les politiques de contrôle des naissances se sont toujours mal passées. Il y a un historique assez sombre d’abus de stérilisations forcées, d’eugénisme finalement. La frontière est ténue, entre décider qui a le droit d’avoir un enfant et qui a le droit de vivre… Et c’est aussi une politique qui serait imposée aux femmes, aux minorités, encore une fois. »

Arrêter de faire des enfants « pour sauver la planète » pose aussi « des questions philosophiques sur le droit à procréation », poursuit-il. « On ne va pas mettre le fait de faire des enfants sur le même plan que des choix de consommation comme prendre l’avion ou manger un steak… Je trouve que c’est un débat qui devient rapidement glissant. »

24 % des plus de 18 ans dans certains pays développés remettraient cependant en question leur désir d’enfant à cause du climat.

Certaines personnes ont déjà fait le choix de ne pas avoir d’enfant par souci écologique. On les désigne par l’acronyme « Gink », pour Green Inclination No Kid en anglais, soit des personnes qui revendiquent ne pas vouloir faire d’enfants pour sauver la planète, et pour ne pas infliger à leur progéniture une vie sur une Terre polluée et en surchauffe.

Des extrêmes à éviter, nous semble-t-il.

« Changer nos modes de vie »

En effet pour Emmanuel Pont comme pour Gilles Pison, le problème est moins la hausse de la population que nos façons de vivre et de consommer. « Il faut changer nos modes de vies, les mécanismes politiques, économiques de la société, la répartition des pouvoirs et des richesses entre les pays, la culture consumériste », détaille le premier. « Pour lutter contre le réchauffement climatique, il ne faut pas être moins, mais il faut tendre, tous ensemble, à plus de sobriété et à moins de consommation. », souligne le second.

En 2015, un rapport d’Oxfam montrait en effet que les pays à forte natalité – souvent, aussi, parmi les moins développés – comme le Pakistan (3,45), le Nigeria (5,32) ou l’Éthiopie (4,15) ne représentent que 3,5 % des émissions mondiales de CO2 alors qu’ils abritent 20 % de la population mondiale. À l'inverse, les pays les plus développés, qui ont un taux de fécondité bas, comme la Chine (1,7), les États-Unis (1,71) ou les pays d'Europe, émettent 78 % du CO2 alors qu’ils ne représentent que la moitié de l’humanité.

« Sur le plan de l'alimentation, par exemple, la planète a de quoi nourrir dix milliards d'individus convenablement. À condition qu'on ne lui demande pas de les nourrir comme s'alimentent les 1 % les plus riches aujourd'hui, avec un régime trop carné et totalement déséquilibré », poursuit Gilles Pison.

Et cet enjeu est d'autant plus majeur que, dans quelques années, les cartes de la démographie mondiale seront complètement rebattues. L'Inde deviendra le pays le plus peuplé et un habitant sur trois de la planète vivra en Afrique. « Tout l'enjeu est de permettre à ces pays de se développer sans qu'ils deviennent plus agressifs pour l'environnement. En cela, les pays développés doivent aujourd'hui servir de modèles », plaide le démographe.

« Par ailleurs, nous savons aujourd'hui qu'il y a une corrélation entre amélioration des conditions de vie et baisse de la fécondité. Si nous voulons stabiliser la population mondiale, cela devra passer par une réduction des inégalités, une lutte contre la pauvreté, un accès aux soins et à la contraception partout dans le monde"… »

Certes mais de grandes disparités  demeurent : en Occident on assiste à une dénatalité suicidaire tandis qu'en Afrique une surnatalité peu maîtrisée. Les conséquences socio-économiques et politiques risquent d'être importantes.




Jenny Chase pour DayNewsWorld