COMMENT ONT SURVECU LES JEUNES MIRACULES DE LA JUNGLE AMAZONIENNE ?

La Colombie tout entière suivait depuis quarante jours la recherche des quatre enfants indiens, les seuls survivants d’un accident d’avion en pleine forêt amazonienne.

"L’opération miracle" était le nom de code que l’armée colombienne avait donné à la quête des enfants. L’émotion était profonde, les questions nombreuses : comment est-ce possible que ces enfants, âgés de 13 ans à 11 mois, aient pu survivre dans cet environnement difficile ? 

Certains des guides indiens ont donné la leur, à ce jour la plus acceptée par les Colombiens : des esprits de la forêt ont pris soin des enfants. Il fallait faire un certain nombre de rites (des prières, mais aussi apporter des offrandes aux esprits, par exemple des bouteilles d’alcool, pour que ces esprits rendent les enfants le moment venu). 

Politiquement, de plus, le pouvoir pouvait montrer comme un triomphe national l’alliance entre les soldats de l’armée et les indiens de la « guardia indígena », récemment mis en cause par la droite suite à des heurts avec l’armée.

Un calvaire de plus d’un mois dans l’une des zones les plus hostiles du monde.

Depuis leur découverte « miraculeuse » le 9 juin on en sait un peu plus sur leur survie .La presse colombienne a commencé à donner des détails de leur calvaire de plus d’un mois dans l’une des zones les plus hostiles du monde. Où vivent des mygales, des scorpions, mais aussi à des jaguars, des pumas, des ocelots ou – ils sont plus rares – des anacondas… Qu'aucun d'entre eux n'ait été la proie de l'un de ces animaux tient du miracle.

Les enfants ont pu se servir dans leur périple d’une moustiquaire, d’une serviette, d’un minimum de matériel de camping, de deux téléphones portables (aux batteries rapidement déchargées), d’une lampe de poche et d’une petite boîte à musique.

Les enfants ont aussi révélé que leur mère avait survécu quatre jours à l’accident d’avion avant de succomber à ses blessures.

Au début, ils sont restés près de l’épave, se nourrissant de farine de manioc qu’ils ont trouvée à bord de l’appareil, a expliqué le général Pedro Sanchez, à la tête des opérations de recherche. Puis, «ils ont manqué de provisions» et ont décidé de chercher un moyen de sortir de la jungle, a rapporté Henry Guerrero, un des indigènes qui a participé aux recherches avec l’armée. Avant de s’éloigner de l’appareil, les enfants ont récupéré une serviette, une lampe de poche, deux téléphones portables (aux batteries rapidement déchargées), une boîte à musique et quelques vêtements.

Puis, pendant leur séjour dans l’Amazonie, ils se sont nourris de «chontaduro [fruits orangés] et de mangues sauvages […] des fruits de la jungle», selon le général Sanchez, qui a qualifié leur survie de «miracle». Luis Acosta, responsable des gardes indigènes de l’Organisation nationale indigène de Colombie (ONIC), a ajouté que les enfants s’étaient «nourris de racines, des semences et des plantes qu’ils avaient identifiées et qu’ils savaient comestibles».

La fratrie appartient d’ailleurs à l’ethnie Uitoto, originaire de l’Amazonie. «Ce sont des enfants indigènes qui connaissent très bien la forêt. Ils savent ce qu’il faut manger et ce qu’il ne faut pas manger. Ils ont réussi à survivre grâce à cela et à leur force spirituelle», a déclaré Luis Acosta. Les indigènes ont été à l’origine de la découverte des enfants, dont les deux plus jeunes ont fêté leur anniversaire pendant leur errance.

La grande sœur leadeuse

Pendant ces jours passés dans la jungle, les enfants "sont restés près d’un cours d’eau. Ils remplissaient une petite bouteille de soda avec de l’eau", a détaillé Henri Guerrero, l’un des membres de l’équipe de sauvetage. "Il ne leur est jamais rien arrivé", pas une seule attaque d’animaux ou de blessure accidentelle, "Ils s’en sont très bien tirés".

Il a aussi expliqué que les jeunes survivants avaient construit un abri de fortune à l’aide d’une bâche, et qu’ils «avaient une petite serviette là, sur le sol». «J’ai parlé avec l’aînée seulement, a poursuivi Henri Guerrero. Elle m’a raconté avoir écouté tous les messages des hélicoptères, disant qu’on était à leur recherche, le message de la grand-mère qui disait de ne pas bouger ou de ne pas avoir peur du chien Wilson à leur recherche. Ils ont écouté les messages mais ne savaient pas vers où aller dans cette zone très étendue, très difficile.

On imagine la détresse, couplée à la maturité de Lesly, qui selon l'amie de sa grand-mère, "a eu le réflexe d’arracher le bébé des bras de sa mère, de chercher dans les débris, la valise où se trouvaient les couches pour sa petite sœur d’un an".

Quant à sa capacité à s'occuper, si jeune d'un bébé, c'est parce que Lesly, pubère à 13 ans, a été formée par sa mère à son potentiel futur rôle de mère. "Cette communauté fait des bébés tôt mais en nombre car les parents savent qu’ils vont en perdre. Ils sont exposés à tellement de dangers : la guérilla, les animaux sauvages…", indique Adriana.

Le ministère de la Défense colombien, Ivan Velasquez Gomez, a aussi rendu un hommage particulier à Lesly, l’aînée de la fratrie : "Nous devons reconnaître non seulement son courage, mais aussi son talent de meneuse. C’est grâce à elle que les trois petits ont pu survivre". 

Le grand-père des enfants s’était dit convaincu pendant les recherches que sa petite-fille avait réussi à mettre ses frères et sœur en sécurité. "Elle est très intelligente, elle est très active, elle est forte", avait-il assuré, ajoutant que les trois plus grands étaient "rès forts pour marcher" dans la jungle.

“J’ai faim” “Ma maman est morte.”

L’équipe des indigènes qui a retrouvé les enfants dans la jungle a ensuite raconté ce moment extraordinaire.

"La fille aînée, Lesly, en tenant la petite par la main, a couru vers moi. Je l’ai prise dans mes bras, elle m’a dit : “J’ai faim”, a raconté Nicolas Ordoñez Gomes, l’un des membres de l’équipe. J’ai demandé où était le garçon. Il était allongé à côté.

près un premier câlin, et lui avoir donné un peu de nourriture, il s’est levé et il m’a dit, très conscient de ce qu’il disait : 

“Ma maman est morte”.

"On a enchaîné tout de suite avec des mots rassurants, en disant que nous étions des amis, que nous venions de la part de la famille, du père, de l’oncle. Que nous étions de la famille ! Il a répondu : “Je veux de la fariña et du chorizo” [du pain et de la saucisse, ndlr]", a détaillé Nicolas Ordoñez Gomes.

Trois jours après ce sauvetage, les enfants continuaient de se reposer à l’abri des regards et de l’excitation des médias dans une chambre de l’hôpital militaire de Bogotá, où ils ont été transférés par avion le soir même de leur sauvetage.

"Un décor d’extrêmes violences", selon la sociologue Olga L. Gonzalez

La famille de Manuel Ranoque vivait dans le département du Caqueta est un des départements historiques d’implantation de la guérilla des Farc. Depuis au moins quarante ans, la guérilla s’y déploie. Mais qui dit guérilla dit aussi narcotrafic (les plus grandes surfaces cultivées de coca), paramilitarisme

Depuis l’accord de paix avec les Farc, en 2017, le territoire est dominé par les dissidences des Farc (c’est-à-dire, des anciens de la guérilla ayant refusé de rendre les armes), les paramilitaires, les différents groupes luttant pour la mainmise sur les ressources locales : coca, mais aussi or. Tout le long du fleuve Caqueta, les orpailleurs clandestins empoisonnent les eaux avec du mercure. Ces groupes armés contrôlent l’accès au fleuve, imposent leurs règles par la terreur .

C’est donc dans un décor d’extrêmes violences, et non pas dans un paradis de communion avec la nature, que vivait cette famille. De fait, le chef de famille, Manuel Ranoque, avait dû quitter son habitation du jour au lendemain.

Il était le "gobernador" de sa communauté de Puerto Sábalo, c’est-à-dire le chef local. Des menaces par les dissidences des Farc l’avaient sommé de quitter les lieux.

Désormais installé à dans une autre ville, le père des enfants miraculés Manuel Ranoque a réuni une somme d’argent pour ramener sa famille auprès de lui. Il avait l’espoir de s’installer à Villavicencio ou à Bogota pour fuir définitivement les menaces. Suite à son appel, sa femme et les quatre enfants ont quitté la communauté. Leur périple a commencé par plusieurs jours de navigation, pour rejoindre un petit aéroport en pleine forêt (les habitants de ces régions, non desservies par des routes ou par des fleuves ne peuvent que prendre l’avion).

Pour seul moyen de locomotion l'avion privé

Le petit avion avait décollé le 1er mai d’Araracuara . Il s’agissait d’un avion U206 G Cessna, âgé d’au moins quarante ans piloté par un homme de 55 ans. cet avion avait été bricolé en dehors des protocoles officiels. Les habitants de ces régions de la forêt sont contraints de prendre des vols privés qui échappent à la régulation des autorités, et les accidents aériens ne sont pas rares.

Le 1er mai 2023, l’avion a à nouveau présenté un problème de moteur. Cette fois-ci, le pilote Hernando Murcia n’a pas pu atterrir d’urgence sur un fleuve et s’est écrasé dans la forêt. Il est décédé sur le coup, ainsi que le leader indien Herman Mendoza, dans la cabine avec lui. Il semblerait que la mère, de 33 ans, aurait survécu mais, blessée, elle n’aurait pas réussi à s’extraire de l’avion et serait morte au bout de quatre jours.

Des maltraitances du beau-père ?

La jeune fille de 13 ans avait pris pour habitude de fuir dans la forêt pendant plusieurs jours pour échapper aux réprimandes et à la violence de ce beau-père. 

Ses grands-parents, qui ne cessent de réclamer la garde de ses enfants, confient qu’elle y serait restée jusqu’à trois jours, qu’elle savait se fabriquer une hutte avec des feuilles de palmier, savait identifier les bonnes et les mauvaises graines, car sa mère lui avait fait connaître les ressources de la forêt. 

Le père, lui, accuse sa belle-famille de propager des mensonges sur lui, réitère ses accusations contre les dissidences des Farc et réprimande le président pour montrer des images de ses enfants sans son consentement.

Par ailleurs, le manque de nourriture, le jeun forcé ne seraient pas quelque chose de complètement étranger à cette communauté. Les données disponibles montrent que la faim est très présente au sein des peuples de l’Amazonie colombienne : ainsi, les enfants de moins de quatre ans sont plus petits et plus légers que les enfants de toutes les autres régions colombiennes.

Trois jours après leur sauvetage, en même temps qu’il soulignait le «processus de récupération satisfaisant» des jeunes rescapés, l’Institut colombien du bien-être familial (ICBF) annonçait lundi 12 juin avoir lancé une procédure administrative sur la restitution à des enfants à leur famille. Selon Adriana Velásquez, directrice adjointe de l’ICBF, les travaux sont déjà en cours pour organiser la première réunion. Avec une mission à l’ordre du jour :

 L’ouverture d’une enquête autour des allégations de maltraitance visant Manuel Miller Ranoque, le père des deux plus jeunes enfants.




Britney Delsey pour DayNewsWorld