"KILLERS OF THE FLOWER MOON " UN WESTERN ASSUME SUR LE GENOCIDE DES INDIENS OSAGE

Entre western, film de mafia et histoire d’amour, une œuvre captivante , Martin Scorsese se penche sur l'histoire des Amérindiens dans Killers of the Flower Moon, son dernier film, en salles ce mercredi, avec Leonardo DiCaprio, Robert De Niro, Lily Gladstone et Jesse Plemons.

Le cinéaste new-yorkais réunit ses acteurs fétiches pour une grande fresque se déroulant dans l’Oklahoma des années 1920 Robert De Niro et LeonardoDiCaprio

Un film que Martin Scorsese porte en lui depuis de nombreuses années.

"Cela fait 7 ou 8 ans que le film est en préparation", précise Leonardo DiCaprio en mai dernier à Cannes, ajoutant "Je sais que Marty (Scorsese) a passé des mois, un an là-bas (avec les Osage) à recueillir leurs histoires, à essayer d'approcher au mieux la vérité. (...) Cent ans après le massacre (des Osage), on a eu la possibilité de parler à des descendants directs de la tragédie, d'écouter leurs récits", souligne l'acteur.

En 2016, Martin Scorsese découvre en effet l'œuvre captivante de David Grann, maître de l'investigation littéraire. Intrigué par le titre, Killers of the Flower Moon (« Tueurs de la fleur de lune » en français), il est saisi par la douceur et la brutalité qu'il suggère. L'écrivain revisite les atrocités commises à l'encontre des Amérindiens osages dans les années 1920 et décide d'en faire la matrice de son film

"Un des crimes les plus odieux"

Il entreprend de relater "l'un des crimes les plus odieux et des injustices raciales perpétrés par des colons blancs à l'encontre des Amérindiens, motivés par l'appât du gain pétrolier", explique l'auteur. L'État de l'Oklahoma, années 1920. Le pétrole a apporté richesse aux Indiens osage... à leur grand dam.

La tragédie des Indiens osage a connu un interlude enchanté, digne d'une fable. Chassé du Kansas à la fin du XIXᵉ siècle au profit des colons blancs, ce peuple amérindien fut relégué dans un coin aride de l'Oklahoma. Une terre stérile d'où jaillirent un jour des geysers d'or noir. Grâce à ce gisement pétrolier, le plus important des États-Unis, les Indiens osage devinrent incroyablement riches. 

Telles des nababs, ils possédaient de vastes domaines et embauchaient, attisant toutes les convoitises. Des criminels blancs employèrent alors les pires méthodes pour s'emparer de leur fortune issue du boom pétrolier : escroqueries, empoisonnements, mariages d'intérêt, balles dans la tête. Fasciné par cette page oubliée de l'histoire, le cinéaste décide de la porter à l'écran. Elle incarne la matrice de ses obsessions pour la cupidité, le crime organisé et l'essence du mal.

Killers of the Flower Moon narre cette ère de terreur à travers le prisme du couple : l'opportuniste Ernest Burkhart, vétéran de la guerre, cherche à séduire la fortunée Mollie Kyle Cobb. Leonardo DiCaprio est un choix évident pour le rôle masculin, mais qui pour lui donner la réplique ? Martin Scorsese pense à Lily Gladstone, repérée dans le film Certaines femmes de Kelly Reichardt (2016). Convaincu qu'un seul regard de sa part peut traduire tout le désarroi de son personnage, témoin privilégié de la disparition des siens, il déclare : " Marty aimait que j’aie une confiance totale en ma présence à l’écran. " Car Mollie était une femme réservée, digne, adepte des réponses monosyllabiques : " Sur le plateau, il fallait donner vie aux interstices entre ses mots. "

Comment rendre justice à un peuple marqué par les drames et ignoré par le cinéma ? Lily Gladstone et Leonardo DiCaprio rencontrent des descendants de la tribu osage, notamment Margie Burkhart, la petite-fille de l'héroïne. " J'ai vu beaucoup de Mollie en elle. Son rire, sa force, son scepticisme parfois. J'ai compris comment ce drame avait impacté les générations suivantes. "

Ainsi est née la scène la plus marquante de Killers of the Flower Moon. On y voit Mollie et Ernest assis côte à côte devant une table : lui, fixant le plafond d'un air concentré ; elle, une couverture sur les épaules, lui lançant un regard attendri. Pendant deux ans, cette image a représenté le seul aperçu du long-métrage de Martin Scorsese. L'actrice s'appuie sur une anecdote recueillie au cours de ses recherches. 

Un homme lui raconte le rituel de sa grand-mère Rose en temps d'orage : « Quand elle entendait un éclair, elle s'asseyait, se couvrait les épaules et accueillait toute cette force dans le calme. Dans le script original, la scène se finissait juste sur Mollie se servant un verre de whisky. » À l'écran, toute la dynamique du couple se révèle aussi dans ce moment-clé : l'un se réjouit des bienfaits de la pluie sur les récoltes, tandis que l'autre lui enjoint d'embrasser en silence les déchaînements de la nature.

Un western assumé

Le film reprend les thèmes classiques de Scorsese : une histoire de violence, de criminels et d'amour, mais c'est peut-être aussi l'un de ses films les plus politiques. Il dépeint comment des hommes blancs ont spolié les membres d'un peuple amérindien, les Osage, sur les terres desquelles du pétrole a été découvert dans les années 1920. La façon dont les Amérindiens ont été traités au cours des siècles après la colonisation de l'Amérique par les Européens "reste une plaie à soigner", avait-il déclaré lors du festival de Cannes, où le film était présenté hors compétition.

Dans une atmosphère de western assumée, avec l'arrivée du héros dans la petite ville de Fairfax à bord d'un train, la cérémonie du calumet et les puits de pétrole, la petite communauté va être brusquement victime d'une série de meurtres et de disparitions. Avec ce film, Martin Scorsese a également réalisé son rêve de western, un genre qui a connu son apogée "au XXe siècle et qui a disparu aujourd'hui". "J'adorais les westerns, ils reflétaient qui nous étions à l'époque et qui nous sommes toujours, à certains égards".

 "Peut-être qu'en connaissant notre histoire et en comprenant où nous sommes, nous pouvons faire la différence et être à la hauteur de ce que notre pays est censé être", a déclaré le cinéaste américain. "Montrons simplement l'histoire et voyons ce qu'il se passe."




Kelly Donaldson pour DayNewsWorld