L'ORIENT DES PEINTRES DU REVE A LA LUMIERE MUSEE MAMOTTAN PARIS

« La couleur me possède. Point n’est besoin de chercher à la saisir. Elle me possède, je le sais. Voilà le sens du moment heureux : la couleur et moi sommes un. Je suis peintre. », note Paul Klee dans son Journal lors du voyage à Kairouan en avril 1914.

Le musée Marmottan Monet présente L’Orient des peintres, dans une belle exposition du 7 mars au 21 juillet 2019. C’est dans l’hôtel particulier qui abrite les collections de Paul Marmottan, dédiées à Napoléon et à sa famille que sont exposées les œuvres s'inspirant du souffle des conquêtes napoléoniennes qui poussent de nombreux peintres européens à fantasmer l’Orient avant de s'y rendre véritablement.

Pour cet événement, le Musée nous invite au voyage avec l'exposition « L’Orient des peintres, du rêve à la lumière », qui donne à voir une cinquantaine de chefs-d’œuvre, symboles de l'orientalisme, tous issus des plus grandes collections publiques et privées d’Europe et des États-Unis (musée du Louvre, musée d’Orsay, musée des Augustins de Toulouse, la Städtische Galerie im Lenbachhaus de Munich, la collection Thyssen-Bornemisza de Madrid, le Rijksmuseum d’Amsterdam, le Sterling and Francine Clark Art Institute de Williamstown).

De la sensualité des femmes du harem aux paysages arides, cette passion pour l'Orient fait surgir toute la puissance de la couleur, qui s'émancipe, et voit émerger notamment l'abstraction.

Et c'est surtout un renouvellement du spectre de couleurs que ces voyages va amener : face à l’éblouissement de la lumière d’Orient et les spectacles naturels inconnus, les peintres inventent de nouvelles manières de peindre.

Au début de l'exposition "l'Orient des Peintres", on retrouve Ingres et Delacroix partis en Orient, Ingres immortalisant la Grande Odalisque (ndlr. femme de harem), Delacroix et Chassériau apportant une vision plus réelle mais non moins classique des pays.

Puis de Gérôme et Landelle à Vallotton, sans oublier Migonney, Bernard, Matisse ou même Paul Klee, l'exposition l'Orient des Peintres nous dévoile comment lors d' une visite l'orient fantasmé s'est transformé en voyage initiatique pour les peintres européens, qui reviennent transformés et offrent alors des œuvres inédites.

Deux voies s’annoncent également, celle de la figure humaine et celle du paysage avec « La Petite Baigneuse »(1828, Paris, musée du Louvre) d’Ingres et « Innenarchitektur » (Architecture intérieure, 1914, Wuppertal, Von der Heydt Museum) de Paul Klee.

Ces deux lignes s’éclairent mutuellement tout au long du parcours de plus en plus porté par une connaissance réelle de l’Orient mais toujours nourrie de tradition et de fantasme.

« Il faut regarder ce peuple à la distance où il lui convient de se montrer : les hommes de près, les femmes de loin ; la chambre à coucher et la mosquée, jamais » comme le relève Eugène Fromentin dans son livre Un Été dans le Sahara.

Dans son tableau « Femme mauresque sortant du bain », 1854, Chassériau use d'une iconographie empruntée à la mythologie et à la tradition classique. La figure de harem, nouvelle Vénus, ne peut en effet être portraiturée de manière fidèle, car elle demeure à tous invisible .Ainsi Édouard Debat-Ponsan dans « Le Massage : scène de Hammam » (1883), renouvelle une iconographie classique et imaginaire en la mettant en scène sur fond de mosaïque islamique.

La figure humaine va finir par s'estomper dans l'éblouissement de la lumière orientale. De Jean-Léon Gérôme (« Le Marchand de couleurs » (Le pileur de couleurs, vers 1890-1891) à Eugène Fromentin ("Le Pays de la Soif", vers 1869, Paris, musée d’Orsay) et Hippolyte Lazerges ("Caravane près de Biskra, Algérie", 1892, Nantes, musée d’Arts) s'amorce une transition de la figure au paysage, par la présentation de scènes de genre avec une attention de plus en plus grande à la lumière et à la structure de paysages toujours plus épurés.

La géométrisation progressive du paysage finit par se concentrer sur la composition et le rythme des couleurs : Jules-Alexis Muenier y côtoie Pascal Dagnan-Bouveret, Albert Marquet et Camoin. La géométrie et la blancheur de la ville d’Alger inspire ainsi à Muenier« Le Port d’Alger », (1888, Paris, musée d’Orsay) .

A Wassily Kandinsky ou Paul Klee de franchir le cap de l’abstraction, lié à l’expérience de la couleur pure et de l’éblouissement comme telles « Ville arabe » de Kandinsky, (1905, Paris, MNAM, Centre Georges Pompidou) ou « Oriental » (1909, Munich, Städtische Galerie im Lenbachhaus und Kunstbau) basculant progressivement dans la couleur pure.

L’Orientalisme cède alors à une expérience radicale, à l’origine de l’art moderne. la peinture pure.

Joanne Courbet pour DayNewsWorld