There are no translations available.

GUERRE EN UKRAINE ET RISQUE DE CRISE ALIMENTAIRE MONDIALE

Alors que l'Europe craint de grelotter l'hiver prochain une autre calamité est en train de naître dans les vastes plaines céréalières ukrainiennes. Une crise alimentaire mondiale comme la planète n'en a jamais connue. A New York, devant le Conseil de Sécurité de l'ONU, le secrétaire général de l'organisation, le portugais Antonio Guterres, a poussé récemment un gros « coup de gueule », prédisant « un ouragan de famines et un effondrement du système alimentaire mondial ». Notamment au Maghreb et dans une bonne partie de l'Afrique avec les effets en cascade de déstabilisations sociales et politiques de ces pays, déjà très fragilisés par deux ans de pandémie.

Ukraine le grenier à céréales

La guerre en Ukraine a mis à feu et à sang le grenier céréalier de la planète. « Face aux sanctions occidentales après l'annexion de la Crimée, en 2014, Poutine a décidé d'investir massivement pour tendre vers l'indépendance alimentaire, en particulier dans les cultures céréalières, raconte Sébastien Abis, chercheur à l'Iris et directeur du Club Demeter. Quant à l'Ukraine, le virage a été pris à la fin des années 90, avec des volumes d'exportations de produits agricoles qui ont été multipliés par six en vingt ans ». Résultat, un tiers du blé tendre (servant notamment à la fabrication du pain) exporté sur la planète provient de ces deux pays, qui sont également incontournables sur les marchés du maïs, de l'orge, du tournesol ou encore du colza.

Mais depuis l'entrée en guerre, la donne risque de changer : Le ministre de l'Agriculture ukrainien estime que la production agricole locale sera a minima divisée par deux cette année.Les semis de printemps (colza, maïs, et tournesol) et les récoltes risquent d'être entravés vu le nombre d'hommes partis au front pour défendre leur pays .

« La révolution de la famine »

L’invasion russe a provoqué une onde de choc dans le monde émergent : les prix ont flambé à des niveaux qu’ils n’avaient plus atteints de­puis des décennies et les impor­tations de matières premières sont à la peine, ce qui engendre des pénuries (en particulier dans les pays les plus défavo­risés qui avaient déjà du mal à se remettre de la pandémie). Dans certaines régions du Ken­ya, le prix du pain a augmenté de 40 %. En Indonésie, le gou­vernement a plafonné ceux de l’huile. Le Yémen dépend de l’Ukraine et de la Russie pour plus de 40 % de ses importations de blé.

En Turquie, l’explosion du prix de l’huile de tournesol a poussé les clients à se ruer dans les magasins pour en stocker autant que possible. En Irak, des manifestations ont réuni des citoyens mécontents de la hausse des prix de l’alimentation qui ont baptisé leur mouvement « la révolution de la famine ».

Une cinquantaine de pays, essentiellement défavorisés, achètent au moins 30 % de leur blé à la Russie et à l’Ukraine. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à elles deux, elles fournissent un tiers des exportations mondiales de céréales et 52 % du marché de l’huile de tournesol. « Si le conflit se poursuit, les répercussions seront vraisemblablement plus importantes que la crise du coronavirus, estime Indermit Gill, vice-président de la Banque mondiale en charge de la politique économique. »

Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord sont particulièrement dépendants des importations russes et ukrainiennes de blé. L’Egypte, premier importateur au monde, achète près de 70 % de sa consommation à ces deux pays. Idem pour le Liban. Pour la Turquie, c’est plus de 80 %. En 2011, l’envolée du prix du pain a joué un rôle dans le déclenchement du Printemps arabe. Le gouvernement égyptien a déclaré que la crise ukrainienne lui coûterait environ un milliard de dollars en subvention du pain et qu’il se mettait en quête de nouveaux fournisseurs. Il a également introduit un contrôle des prix du pain non subventionné pour enrayer la flambée des tarifs; Une envolée des prix qui accroît le risque d’un soulèvement populaire en Egypte, des années d’austérité ayant déjà fortement érodé le pouvoir d’achat de la population. Le Liban, lui, n’a plus qu’un mois de stock de blé, a indiqué Amin Salam, son ministre de l’Economie. En raison de la crise économique qui frappe le pays, un quart des ménages ne sont pas certains de pouvoir manger à leur faim. « Nous nous sommes rapprochés des pays amis pour voir comment trouver du blé à des conditions raisonnables », a-t-il déclaré. 

En 2008, l’explosion des prix de l’alimentation avait provoqué des émeutes dans 48 pays.

Explosion du prix du pétrole et du gaz

Goldman Sachs affirme que l’attaque russe contre l’Ukraine a provoqué la plus forte déflagration sur le marché mondial des céréales depuis la crise soviétique de 1973 et pourrait avoir, sur les marchés pétroliers, un impact comparable à l’invasion du Koweït par l’Irak en 1990. La banque estime que le baril de pétrole devrait osciller autour de 130 dollars en moyenne d’ici à la fin de l’année, soit près du double de son cours moyen de 2021, à 71 dollars. Deuxième exportateur mondial de brut après l’Arabie saoudite, la Russie représente 12 % de l’offre mondiale, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). C’est aussi le premier exportateur mondial de gaz naturel et le plus gros producteur d’engrais. Si les prix des engrais augmentent, les agriculteurs en utiliseront moins, donc le rendement des récoltes va baisser et les prix vont augmenter, et ce sont les pays qui ont le moins de moyens qui seront les plus touchés. Certaines régions du monde, notamment en Afrique, étaient confrontées au problème de l’inflation avant même le déclenchement du conflit en Ukraine.

Les économies qui sont très dépendantes des importations d’énergie sont particulièrement menacées, estime S& P, qui évoque notamment l’Inde, la Thaïlande, la Turquie, le Chili et les Philippines. L’Inde importe par exemple près de 85 % du pétrole qu’elle consomme, tandis que la Thaïlande affiche la facture énergétique la plus élevée des grands pays émergents (6 % du PIB). Selon S& P, le choc sur les prix pourrait amputer les prévisions de croissance de nombreux pays en développement. Au Pakistan, où l’inflation est endémique, le gouvernement a annoncé fin février le déblocage de 1,5 milliard de dollars de subventions pour tenter d’empêcher le prix du carburant d’augmenter en raison de la crise ukrainienne. Or le Ramadan, période qui entraîne souvent un regain d’inflation, commencera d’ici peu. Devant les critiques qui accusent le gouvernement d’être incapable d’enrayer la hausse des prix, les partis d’opposition tentent de renverser le Premier ministre, Imran Khan.

Le programme alimentaire d'urgence en difficulté

L’augmentation des coûts pèse aussi sur la capacité du Programme alimentaire mondial (PAM) à aider les populations menacées par la famine, dont plus de trois millions de personnes en Ukraine. En effet la guerre a fait augmenter de 29 millions de dollars par mois une facture mensuelle de denrées et de carburant qui a déjà bondi de 44 % depuis 2019, portant le surcoût annuel à 852 millions de dollars. Dans ce contexte d’augmentation des prix et de budget limité, le PAM a dû réduire les rations qu’il distribue en Afrique de l’Est et au Moyen-Orient, notamment aux réfugiés. Confrontée à la sécheresse, aux violences et aux difficultés politiques, la Somalie frôlait la famine avant même que Moscou ne s’en prenne à Kiev. « Les pays comme la Somalie sont extrêmement vulnérables parce qu’ils sont touchés par des conflits armés prolongés et des chocs climatiques de plus en plus forts, donc la moindre fluctuation des prix alimentaires peut avoir un impact colossal, déplore Alyona Synenko, porte-parole pour l’Afrique du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Les gens ne vont plus y arriver. »

Famine et instabilité vont souvent de pair...




Alyson Braxton pour DayNewsWorld