LES DIX ANS DES ROUTES DE LA SOIE

 UN PROJET TITANESQUE CHINOIS

Le 8 septembre 2013, Xi Jinping, fraîchement nommé chef de l’Etat, évoquait pour la première fois son projet de "ceinture économique de la route de la soie". En dix ans, la Chine a investi autour de 1.000 milliards de dollars dans plus de 150 pays. Aujourd’hui, ces150 pays ont adhéré à ce qui est devenu un label et, surtout, un réseau complexe de corridors terrestres et maritimes à l’échelle du globe. Dix ans après, quel bilan doit-on tirer du « projet du siècle », selon les mots de Xi Jinping ?

Historiquement, les routes de la soie étaient un réseau d'échanges commerciaux reliant le monde chinois au bassin méditerranéen, depuis l'Antiquité. Les fouilles archéologique ont ainsi révélé l'existence de circulation monétaire sur de très longues distances.

Les Nouvelles Routes de la Soie, un projet stratégique chinois initié en 2013, vont bien au-delà de leur héritage historique. L'objectif est de relier économiquement la Chine à l'Europe en intégrant les régions d'Asie centrale grâce à un réseau étendu de corridors routiers et ferroviaires. Ce programme vise à instaurer une nouvelle génération de plates-formes commerciales transnationales. En outre, dans son volet maritime, ce réseau de voies commerciales englobe les régions côtières africaines de l'océan Indien.

En anglais, l'expression Belt and Road Initiative (BRI) a remplacé à partir de 2017, dans la terminologie officielle, l’expression « One Belt, One Road » (« une ceinture, une route ») ou OBOR pour gommer l’image « prédatrice » du projet.

tAujourd'hui, ces Routes de la Soie sont devenues un label beaucoup plus vaste que la simple "route" et la "ceinture", s'étendant jusqu'en Amérique du Sud. Elles rassemblent principalement des nations du "Sud global", des pays en développement souvent mécontents de l'ordre économique mondial dominé par l'Occident et les États-Unis. Depuis le plan Marshall, le monde n'a pas vu un tel projet d'envergure, ce qui suscite des inquiétudes en Occident, où l'on voit la Chine construire un puissant instrument de puissance économique et politique à l'échelle mondiale.

Les objectifs économiques chinois

Les objectifs de la Chine dans cette initiative sont multiples sur le plan économique. Elle cherche à augmenter ses exportations, à écouler sa surcapacité industrielle, et à trouver de nouveaux marchés pour ses entreprises de construction et de travaux publics. L'Asie centrale offre un marché en plein essor pour ces ambitions. De plus, ces nouvelles voies commerciales permettent à la Chine de diversifier et de sécuriser ses approvisionnements énergétiques, réduisant sa dépendance envers les pays du Golfe et la Russie. En établissant des accords de coopération avec des pays tels que le Sri Lanka, le Bangladesh ou la Birmanie, la Chine renforce également la sécurité de ses nouvelles routes d'approvisionnement.

Les objectifs politiques

Politiquement, l'objectif est autant intérieur qu’international. Sur le plan interne, il s’agit pour la Chine d’assurer l’intégrité de son territoire. La province du Xinjiang, très riche en matières premières et au carrefour des routes d’hydrocarbures, est régulièrement en proie à des conflits ethniques. Pékin souhaite que l’aide au développement des pays limitrophes (Afghanistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizstan), réduise l’instabilité aux frontières et à l’intérieur du pays. L’objectif interne se greffe à un objectif de politique régionale en Asie centrale : étendre l’influence chinoise face à l’acteur historique russe, et s’affirmer comme un acteur stabilisateur des relations internationales.

Le déploiement des routes de la soie

Dans un premier temps, les projets colossaux de la Chine ont impressionné et attiré les convoitises des gouvernements africains. De nombreuses infrastructures ont vu le jour sur le continent africain grâce aux investissements chinois même si le robinet s'est refermé ces dernières années, face au poids des dettes contractées et au ralentissement de l'économie chinoise.

Au Mozambique, un pont suspendu, le plus long d'Afrique, enjambe désormais la baie de Maputo. Coût de cet ouvrage : plus de 750 millions d'euros.

Au Kenya, une ligne de chemin de fer de quelque 500 kilomètres relie depuis 2017 la capitale Nairobi et le hub portuaire de Mombasa, pour 5 milliards de dollars, l'un des projets les plus coûteux du pays depuis son indépendance. Djibouti , qui cumule les mégaprojets et accueille la première base militaire extérieure de Pékin, a pour sa part vu se développer le terminal de Doraleh, pour 590 millions de dollars

Cependant, l'offre chinoise est de plus en plus critiquée, en particulier pour le financement en échange de contrats attribués aux entreprises chinoises, au détriment d'autres acteurs internationaux ou africains. Le concept de "partenariat gagnant-gagnant" vanté par la Chine atteint ses limites, générant endettement, réseaux d'influence, dépendance et impacts environnementaux et sociaux locaux. Ses détracteurs parlent aujourd’hui d’une diplomatie du piège de la dette.

La " diplomatie du piège de la dette "?

Ainsi , le port d'Hambantota au Sri Lanka est désormais sous le contrôle d'une entreprise d'État chinoise pour 99 ans, afin de rembourser une partie des dettes. De nombreux pays se rendent compte que ces investissements ne sont en réalité que des prêts à des taux d'intérêt en constante augmentation, créant une dette financièrement insoutenable à l'échelle nationale. Un chercheur indien cristallise ces critiques dans une expression qui fait mouche : la " diplomatie du piège de la dette" .

De même pour le Monténégro. Une autoroute rebaptisée la plus chère du monde, dont les travaux ont été financés par des prêts chinois a littéralement fait plonger les finances publiques de ce petit pays dans le rouge, créant une allégeance à Pékin dangereuse.

Si l’Italie envisage de sortir du projet Belt and Road Initiative, Berlin de son côté s’interroge. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Allemagne. C’est par le port de Hambourg mais aussi de Duisbourg que transitent les principales marchandises. Duisbourg, le plus grand port fluvial d’Europe, dans la vallée du Rhin, est devenue l’une des dernières stations pour les trains chinois. Les débats sur la dépendance vis-à-vis de la Chine ont mis un coup d’arrêt à de nombreux projets.

S’ouvrir l’accès à des installations stratégiques en Asie, en Afrique, dans le golfe Persique, en Europe et jusqu’aux Amériques, tel semble être l’objectif réel de Pékin.

Bruxelles a donc cherché à reprendre la main, notamment pour ne pas laisser le champ libre à Pékin, notamment en Afrique. L’UE a lancé son propre chantier de développement d’infrastructures qui a pour nom « Global Gateway »

Un bilan contrasté en Afrique et des succès...

En Afrique cependant, le bilan est plutôt contrasté. En effet la Chine est parvenue à faire intégrer la très grande majorité des pays africains, à l’exception de l’île Maurice et de l’Eswatini - qui reconnaît Taïwan. La Chine a démultiplié ses capacités de financement, largement plus que d’investissement, estampillant également tous les projets infrastructurels comme faisant partie des nouvelles routes de la soie, et même pour ceux lancés avant 2013. De ce point de vue, le projet est relativement un succès.

En outre les routes de la soie ne sont pas uniquement fixées sur le secteur des l' infrastructures, mais aussi sur d’autres secteurs liées au développement de coopération dans l'agriculture, la santé, l’éducation par exemple qui correspondent aux volontés locales de développement des pays partenaires.

À l’heure de la guerre en Ukraine et du ralentissement économique de la puissance chinoise, difficile d’évaluer l’ampleur de la Belt and Road initiative, comme on l’appelle en anglais.

Toutefois, le projet est loin de représenter une offensive économique planifiée de la part de la Chine. 

Le saupoudrage des investissements entre des secteurs très variés (transports et énergie, mais aussi agriculture, immobilier, finance...) et sur tous les continents font perdre au projet de sa consistance et de sa lisibilité, ce que les critiques internes dénoncent en Chine même au sein du PCC...

Mais la réalité est là : les entreprises chinoises arborent leurs logos sur tous les continents , quand l'influence des Européens décline. Elles sont venues au secours de pays qui en avaient cruellement besoin.




Jaimie Potts pour DayNewsWorld