COMPRENDRE LA COLERE DES AGRICULTEURS FRANCAIS

La mobilisation des agriculteurs durera « le temps qu'il faudra pour que les réponses soient apportées », prévient Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA. A travers blocages et manifestations, la France des tracteurs connaît une poussée de fièvre éruptive, réclamant de nombreuses mesures d'urgences et des ajustements plus globaux. 

Face à leur malaise grandissant les agriculteurs ont décidé de se faire entendre. Sur les remorques et dans les bétaillères, des citernes, une construction modulaire, des groupes électrogènes et des tentes, les agriculteurs ont prévu de dresser le camp et d’occuper certaines autoroutes de France

 "Voulons-nous encore manger français ?", "agriculteurs = réalistes, administration = utopiste", ou encore : "Notre fin sera votre faim".

Les doléances pleuvent.

"Avec la hausse des charges, la trésorerie est de plus en plus tendue et même si les prix ont augmenté, on est loin du compte". 

"Concurrence déloyale par rapport aux produits importés", "normes qui étouffent", "collègues qui n’ont pas touché les aides de la PAC en temps et en heure" :

Les conducteurs ont tous les âges, mais un même ras-le-bol. 

Nos revendications ? 

Stop à l’excès de normes, et redégageons du revenu sur nos exploitations pour permettre aux jeunes de s’installer et de remplacer les 45 % d’agriculteurs qui partiront à la retraite d’ici 2030, synthétise Yannis Baltzer, président des JA du Bas-Rhin. 

Notons que l’endettement et la perte de compétitivité pousse, chaque jour, un agriculteur à mettre fin à sa vie… 

Un constat alarmant qui cristallise la situation agricole et qui met en péril notre souveraineté alimentaire.

Le modèle agricole français sous tutelle européenne

La baisse de l’emploi agricole, l’agrandissement des exploitations, la motorisation et l’utilisation des engrais et des produits phytosanitaires caractérisent les transformations majeures de l’agriculture française depuis les années 1950. En sortie de guerre et afin d’assurer le développer de la production agricole, l’agriculture française est ainsi passée sous la tutelle de l’Europe grâce à la création de la PAC, Politique Agricole Commune en 1962.

Pour stimuler l’agriculture, 3 outils ont ainsi été créés : les taxes à l’importation, la garantie des prix aux agriculteurs et les restitutions aux exportations. Les subventions allouées par la PAC sont réparties selon le modèle suivant : 70% des subventions sont dites "directes", autrement dit les agriculteurs reçoivent "un revenu de base", calculées en fonction de la surface d’exploitation, indépendamment de la manière dont la production est menée. 

Le reste des subventions, cofinancé par les états membres, porte sur le développement rural, c’est-à-dire un soutien complémentaire qui vise à soutenir les agriculteurs qui mettent en place des pratiques respectueuses de l’environnement, qui lancent leur activité ou qui souffrent de désavantage compétitif du fait de leur zone géographique.

De moins en moins d'agriculteurs, qui sont de plus en plus vieux

En incitant les agriculteurs à s’agrandir et gagner en compétitivité, c’est naturellement que depuis 60 ans, l’agriculture française a perdu 80% de ses exploitations et plus de cinq millions d’emplois agricoles. Aujourd’hui, la politique agricole française se base donc sur la productivité grâce à l’augmentation croissante des grosses exploitations. 

Et pour cause, en 2010, les très grandes exploitations représentaient 33% des exploitations françaises contre 67% en 2016. Selon le recensement agricole de 2020, on compte environ 389.800 exploitations en France métropolitaine. C'est 100.000 de moins qu'il y a 10 ans. En moyenne, elles s'étendent sur 14 hectares supplémentaires qu'en 2010.

La proportion d'agriculteurs exploitants en France a fortement diminué. S'ils représentaient 7,1 % de l'emploi total en 1982, ils ne pesaient plus que pour 1,5 % en 2019, soit 400.000 personnes.

Ils sont considérablement plus âgés que l'ensemble des personnes en emploi : 55 % d'entre eux ont 50 ans ou plus, contre 31 % pour le reste des travailleurs. Seul 1 % d'entre eux a moins de 25 ans. Ils déclarent également un temps de travail hebdomadaire bien au-dessus de l'ensemble des personnes en emploi : 55 heures par semaine en moyenne, contre 37 heures pour le deuxième groupe.

Depuis toujours l’agriculture est un secteur important même s’il tend à diminuer avec les années, jusqu’à représenter 1,6% du PIB national. Au niveau européen, la France est toujours le premier producteur agricole avec un chiffre d’affaires de 70,7 milliards d’euros en 2016, le second après l’Allemagne pour l’agroalimentaire avec 370 milliards d’euros. 

Un podium qui risque d’être chamboulé par une compétitivité toujours plus féroce et la venue d'autres pays dans l'Union. Les nouveaux accords de libre-échange [accords entre le Canada et l’Europe, la Nouvelle-Zélande, le Maroc ou l’Argentine] fracassent encore plus les paysans

La concurrence accrue de nos voisins européens a grandement fragilisé la situation agricole française.


L’agriculture d’aujourd’hui n’est plus la même qu’hier. Le monde paysan qui est devenu minoritaire, voire marginal en France, voit son modèle totalement bouleversé . La compétition croissante de nos voisins européens a considérablement fragilisé la situation agricole hexagonale. 

A juste titre, une étude de l'INSEE depuis les années 2000 révèle que la part des importations alimentaires a doublé, faisant grimper à 20% la part des mets étrangers dans l'assiette d'un citoyen français. Les produits alimentaires, bien que provenant d'importations, sont indéniablement plus abordables.

Depuis plusieurs années, la France a adopté une politique axée sur le pouvoir d'achat du consommateur, le conditionnant à opter pour des achats à moindre coût. Lorsque l'on considère que le coût horaire en Pologne est quatre fois inférieur à celui en France, la compétition devient féroce malgré la légèreté de leurs normes environnementales et sanitaires. Par manque de rentabilité, la France a ainsi relégué une partie de ses cultures..

Face à cette concurrence, de nombreux agriculteurs français ont engagé une course à la rentabilité et à l'expansion, les obligeant à investir massivement dans des équipements répondant à leurs nouveaux besoins. 

Ces investissements colossaux ont entraîné la plupart des agriculteurs dans une spirale infernale d'endettement, d'où peu ont réussi à émerger. Un fardeau colossal, sachant qu'en 2017, près de 20% des agriculteurs n'ont pas perçu de revenu...

Aujourd'hui, le monde agricole est en proie à une crise économique, mais aussi sociale. En plus de la pression financière due aux changements de production, les agriculteurs doivent faire face à une pression morale sans précédent. Les consommateurs remettent en question depuis plusieurs années l'agriculture conventionnelle issue de la pétrochimie, en faveur d'une agriculture biologique respectueuse de la vie.

Le "bashing agricole", ou la dénigrement de l'agriculture traditionnelle, est devenu monnaie courante, ébranlant la confiance que nous accordons à nos agriculteurs.




Alyson Braxton pour DayNewsWorld